Actus CNRD N°71 L'allodynie en gériatrie Type de document : Actes de congrès Auteur(s) : Capriz, F Congrès : Douleur provoquée par les soins - 16ᵉ journée de l'A-CNRD Date : 14/10/2021 Lieu : Espace Charenton, Paris Mots clés : personne âgée fragile / douleur neuropathique / allodynie / diabète / zona / cancer / accident vasculaire cérébral / escarre / Journée de l'A-CNRD L'allodynie en gériatrie
Dr. Françoise Capriz, Gériatre, Université Côte d’Azur, Service de Gérontologie Clinique, Nice (06) L’allodynie est une douleur causée par une stimulation normalement non douloureuse. On décrit l’allodynie mécanique statique, provoquée par un léger contact sur la peau, l’allodynie mécanique dynamique, provoquée par un effleurement sur la peau et enfin l’allodynie thermique en réaction à de légères variations de la température. Elle est plutôt caractéristique d’une douleur neuropathique dans le grand âge, même si on peut la retrouver dans d’autres pathologies comme la migraine ou la fibromyalgie. Les principales maladies responsables des douleurs neuropathiques sont en effet souvent liées au vieillissement, comme le diabète, le zona, les cancers ou les accidents vasculaires cérébraux. Si la prévalence de la douleur neuropathique est d’environ 10 % dans la population générale, elle atteindrait 35 % dans la population âgée (1).
L’allodynie intègre donc les caractéristiques d’une douleur chronique. Elle a un fort impact négatif sur la qualité de vie de la personne âgé, en limitant ses activités et en modifiant ses habitudes de vie. Or un sujet âgé qui « dysfonctionne » met sa vie en jeu, avec une perte d’autonomie médico-psycho-sociale à la clef. Elle peut provoquer aussi des troubles du comportement dans le soin encore appelés comportements perturbateurs en institution gériatrique, reconnus à tort comme une agitation et traités malheureusement comme tels. Son dépistage est donc essentiel, mais nécessite une attention clinique de tous les instants pour la reconnaitre et l’intégrer à un syndrome douloureux chronique.
La recherche d’une composante neuropathique de la douleur s’appuie habituellement sur un outil validé chez l’adulte, le questionnaire de douleur neuropathique en 4 dimensions (DN4), proposé par D. Bouhassira et ses collègues en 2005 (2). Mais il est difficile de l’utiliser dans le grand âge, notamment lors de la présence de troubles de la communication verbale : l’allodynie est en effet l’item 10 optionnel de cette échelle, alors que c’est un des seuls critères observables lors des soins chez le patient âgé dyscommunicant. La recherche de signes neurologiques déficitaires associés est également problématique dans ce contexte et fait encore appel à la communication verbale. Il nous reste donc notre bon sens clinique qui tient compte d’un contexte clinique à risque comme les douleurs post-chirurgicales, métaboliques (diabète…), cancéreuses, d’origine rhumatologique ou infectieuse (notamment les douleurs post-zostériennes), sans oublier les douleurs d’escarre ou d’ulcères de jambe. En effet, dans les plaies chroniques, la part neuropathique des douleurs est encore trop souvent ignorée, à l’origine d’insuffisance ou d’échec des traitements opiacés instaurés. L’utilisation d’échelles d’hétéro-évaluation de la douleur, adaptées au sujet âgé, est ici incontournable même si elles ne sont pas spécifiques de ce type de douleur. Il nous faut aussi avoir une écoute attentive des mots employés spontanément, voire proposer d’éventuelles images ou métaphores. Cela nécessite un changement de paradigme dans le soin.
Le caractère localisé de l’allodynie est un des éléments clefs de l’évaluation permettant d’orienter le choix du traitement de 1ère intention (3). Les recommandations internationales (4) préconisent l’utilisation de traitements locaux, comme les emplâtres de lidocaïne 5 % ou de capsaïcine 8 %, pour le traitement de la douleur neuropathique localisée, avec un bon rapport bénéfice/risque dans le grand âge, c’est-à-dire une efficacité et un faible risque d’effets indésirables (que l’on retrouve plus volontiers dans les traitements systémiques de la douleur neuropathique). Leur association est possible avec d’autres traitements médicamenteux et analgésiques sans risque d’interactions médicamenteuses majeures. En cas d’échec ou d’impossibilité, il faut se référer à nouveau aux nouvelles recommandations françaises de 2020 du traitement des douleurs neuropathiques, en appliquant l’algorithme thérapeutique proposé.
L’allodynie se présente donc « masquée » chez le sujet âgé, et y penser est déjà un pas en avant pour la dépister, en l’intégrant dans un syndrome douloureux chronique à traiter dans toutes ses dimensions.
Bibliographie :
1) Pickering G et al. Quelles données sur la prise en charge médicamenteuse de la douleur neuropathique chez la personne âgée fragile ? Rev Geriatr 2020 ; 45 (2) : 87-991)
2) Bouhassira D et al. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4). Pain 2005 ; 114: 29-36
3) Capriz F, Chapiro S, David L, Floccia M, Guillaumé C, Morel V, Berlemont C, Pickering G. Consensus pluridisciplinaire d’experts pour l’utilisation des antalgiques dans la prise en charge de la douleur de la personne âgée. Douleurs : Evaluation - Diagnostic – Traitement, 2017; 18(5): 234-245
4) Moisset X et al. Traitements pharmacologiques et non pharmacologiques de la douleur neuropathique : une synthèse des recommandations françaises. Douleur analg. 2020 ; 33 : 101-112 Notice n° 8973, créée le 16/09/2021, mise à jour le 11/04/2023 |