Méditation, hypnose, est-ce si différent ? Type de document : Actes de congrès Auteur(s) : Lombart, Bénédicte Congrès : Douleur provoquée par les soins - 15ᵉ journée de l'ACNRD Date : 15/10/2020 Lieu : Espace Charenton, Paris Mots clés : méditation / hypnose médicale / douleur / Journée de l'A-CNRD Bénédicte Lombart, Infirmière, Docteure en philosophie pratique et en éthique hospitalière, APHP – Groupe Hospitalier Sorbonne Université, Paris (75), Laboratoire de recherche : Espaces Ethiques et Politiques - Institut Hannah Arendt, (EEP) – HA 2548 & LIPHA __________________________________________________________________________________
Il s’agit ici d’aborder les éléments qui distinguent la méditation de l’hypnose médicale. Il semble opportun, dans un premier temps, de contextualiser le recours à ces méthodes dans le cadre du soulagement de la douleur. En effet hypnose et méditation sont désormais utilisées dans de nombreux domaines : lutte contre l’anxiété, recherche d’un bien-être, développement d’une forme de philosophie de vie ou encore traitement spécifique de nombreuses affections ou addictions. Or la compréhension de la pratique de la méditation ou de l’hypnose pour soulager la douleur nécessite un bref rappel de ce qu’est le phénomène de la douleur. Une expérience existentielle douloureuse Universelle et intemporelle, l’expérience humaine de la douleur est un phénomène existentiel qui dépasse la simple dimension neurophysiologique. Lorsque le corps est capturé par la douleur, l’esprit se fige. Celui qui souffre est comme jeté à terre par la douleur, « atterré »[1] pour reprendre l’expression de Montaigne. L’attention tout entière se porte sur la partie du corps qui fait mal, privant l’individu du loisir de percevoir tout autre chose que celle-ci. La douleur coupe l’homme du monde extérieur tout en l’isolant de son propre monde intérieur. Elle entrave à la fois le corps et l’esprit, réduisant ainsi sa faculté d’aller d’une sensation à une autre. L’amplitude de la douleur perçue est à la mesure du rétrécissement de toutes autres perceptions. L’expérience pénible de la douleur transforme notre rapport au temps passé à souffrir, Schopenhauer[2] parle du temps qui s’allonge. Les autres parties du corps disparaissent, impossible d’écouter ou d’observer avec attention, difficile de sentir autre chose que ce qui fait mal. La douleur tronque la disponibilité habituelle au monde. Elle introduit en quelque sorte une forme de dictature, s’imposant à l’esprit comme au corps. Voilà ce qui explique en quoi la douleur menace l’intégrité [3] de la personne qui la subit. Le mouvement physique mais aussi psychique est, peut-être, la première faculté de celui qui souffre, à être altérée. Mouvement altéré au sens où l’esprit ne parvient plus à se décaler du corps souffrant. Cheminer vers le soulagement Face à une telle expérience, on conçoit combien la douleur peut être difficile à transcender, à l’instant où elle nous saisit. On comprend également qu’elle puisse laisser des traces dans la mémoire et qu’elle transforme potentiellement les comportements. Ces altérations sont plus importantes encore lorsque la douleur est sévère ou qu’elle se prolonge dans le temps. L’expérience de la douleur est également aggravée quand elle se greffe à une situation existentielle et émotionnelle déjà fragilisée. La médecine, restée longtemps sourde aux plaintes des patients, est désormais plus concernée et impliquée dans la prévention et le traitement de la douleur. La réponse analgésique ne se cantonne plus aux seuls médicaments. C’est ainsi que les méthodes alternatives, dites psychocorporelles, telles que la méditation ou l’hypnose, trouvent désormais leur place dans l’arsenal analgésique. Ces moyens offrent la possibilité de se décaler des perceptions douloureuses et aliénantes avec lesquelles la personne est aux prises. Outre les traitements médicamenteux spécifiques, il s’agit de proposer à la personne d’activer ses propres ressources pour faire face à la douleur, c’est-à-dire d’enclencher, ce que nous nommons sa « faculté d’auto-soulagement ». Initier un pas de côté En partant du constat que la douleur entrave corps et esprit, ces méthodes ont vocation à insuffler une nouvelle façon d’accueillir les sensations douloureuses et donc de les percevoir. Le patient est invité à se décentrer de ce qui lui fait mal, il fait ainsi un « pas de côté » découvrant l’expérience de la douleur sous un nouvel angle. Méditation ou hypnose initient en quelque sorte une remise en mouvement de la pensée jusqu’alors ligotée par la douleur. A l’heure où ces différentes méthodes sont de plus en plus fréquemment proposées aux patients, il semble intéressant de mieux les connaître en relevant leurs points communs ainsi que ce qui les distingue. Il faut, pour se faire, revenir rapidement sur ce qui caractérise la méditation et l’hypnose. A propos de la méditation En ce qui concerne la méditation, nous ne développerons pas les aspects théoriques et pratiques, abordées précédemment par Corinne Isnard-Bagnis et Christian Hoenner. Retenons que la méditation vise à aider celui qui la pratique, à accueillir les sensations en se désengageant d’un jugement. Il s’agit ainsi de transformer son rapport au monde par le biais d’une pratique assidue. Celle-ci aide celui qui médite à « traverser les tempêtes en se réfugiant dans l’instant présent »[4] comme nous l’enseigne Christophe André. Se réinstaller « ici et maintenant » est particulièrement précieux car la douleur a tendance à « pré-occuper » l’esprit. Être pré-occupé, c’est être occupé à l’avance, c’est-à-dire avoir l’esprit en avant du moment présent. Inviter le patient à prendre pleinement conscience de ce qui se produit ici et maintenant peut l’aider à s’installer dans le moment présent et par conséquent à se réinstaller en lui-même. Cependant vivre en pleine conscience lorsqu’on est douloureux peut paraître de prime abord, paradoxal ou contreproductif. En effet on pourrait s’interroger sur la pertinence de proposer à une personne assaillie par la douleur, de se concentrer sur les sensations présentes. Afin de répondre à ces interrogations, il faut préciser que ces propositions s‘adressent aux patients souffrant de douleurs chroniques[5], c’est-à-dire aux personnes que la douleur accompagne depuis longtemps. Compagne, certes malheureuse et pénible, la douleur n’est, pour ces patients, ni une surprise ou ni un surgissement inopiné. Sans pour autant s’habituer à elle, la personne qui expérimente la douleur chronique, cohabite en quelque sorte avec celle-ci, tout en redoutant qu’elle ne prenne toujours plus de place dans le corps et dans la vie quotidienne. La douleur se dissout peu à peu dans les perceptions, masquant les sensations corporelles courantes, banales ou agréables. Lors d’une séance de méditation, il est proposé à la personne de modifier sa façon de prêter attention. Celle-ci est focalisée sur l’ensemble des sensations : le souffle de l’air qui passe par les narines, les points d’appui, les zones de tensions, par exemples. Il s’agit d’observer, d’accueillir sans jugement, comme de l’extérieur, ce qui se produit à l’intérieur. Ce changement d’angle de vue produit de facto un décalage entre la sensation et celui qui la ressent. Cette bascule de perspective est décisive car elle inaugure un écart. Elle initie la possibilité de se décaler, donc de se dissocier de ce qui fait mal. La pratique régulière de la méditation actionne des mécanismes endogènes qui libèrent des opioïdes[6], cela prouve le déclenchement d’un mécanisme interne d’auto-soulagement. Un « déclic » se produit par l’initiation d’un « pas de côté », qui lui-même engage la (re)mise en mouvement de l’esprit, jusqu’alors entravé par la douleur. Ce passage s’apparente à une dissociation. L’aspect dissociatif est précisément une des caractéristiques de l’état hypnotique, appelé également transe hypnotique. La mise en exergue de ce point commun entre la méditation et l’hypnose, offre l’occasion d’aborder plus spécifiquement la notion d’hypnoanalgésie. A propos de l’hypnoanalgésie L’hypnoanalgésie est une manière d’utiliser l’hypnose pour réduire la douleur. Il faut donc décrire préalablement ce qu’est l’hypnose, avant de définir plus précisément ce qu’est l’hypnoanalgésie. Il existe de nombreuses définitions de l’hypnose mais nous ne retiendrons que celle de François Roustang pour son éclairage conceptuel. Pour François Roustang, philosophe et thérapeute, l’hypnose est « un état de veille intense, à l’instar du sommeil profond à partir duquel nous rêvons. De même que ce sommeil profond conditionne l’éclosion du pouvoir de rêver, de même cette veille intense nous fait accéder au pouvoir de configurer le monde »[7]. François Roustang souligne l’état naturel de l’hypnose en comparant cette faculté à celle du sommeil. De même que le sommeil conditionne la possibilité de rêver, de même l’hypnose offre la possibilité de transformer son monde intérieur. L’hypnose correspond à une forme de rêverie à laquelle chacun accède sans forcément s’en apercevoir, ce qui est particulièrement vrai pour les enfants. L’esprit s’évade spontanément, cela caractérise notre faculté naturelle à nous dissocier pour quelques instants de la réalité qui nous entoure. Pourtant, il s’avère parfois difficile de mobiliser cette compétence au moment, où précisément, elle s’avèrerait utile, comme par exemple lorsqu’on est saisi par la douleur. Il s’agit donc d’apprendre à « convoquer » cet état, au moment propice. L’hypnoanalgésie est le procédé qui, s’appuyant sur les principes de l’hypnose, permet à la personne de se décaler de la douleur en utilisant ses propres ressources afin de mettre à distance les sensations désagréables, les réduire, les modifier et/ou s’en protéger, afin de transformer le vécu de la situation douloureuse. Pour Antoine Bioy l'hypnose est le produit de six ingrédients cliniques dévoilés au fur et à mesure de son histoire : la transe, la suggestion, le contexte, la relation, l'imaginaire et le corporel[8]. En hypnose, comme en méditation, un nouveau dialogue avec le corps s’initie. Pour se faire, l’ensemble du champ sensoriel est convoqué : écouter, voir, toucher, humer, gouter, sentir sans ressentir. Il s’agit également de faire abstraction des symptômes. Si François Roustang nous suggère de ne pas nous arrêter sur le symptôme, c’est qu’il nous invite à une représentation synthétique de la pensée et du corps. « La pensée n’est pas quelque chose à part qui surplomberait comme un nuage et qui nous tiendrait sous la menace d’une grêle intelligence, elle est la rosée du matin ensoleillé qui imprègne nos corps. Nos corps pensent. »[9] Et si le corps pense, alors la pensée respire, l’esprit s’évade et bat parfois la campagne, il est en mouvement, ainsi de nouvelles possibilités sont révélées. Le souffle vivant du discours qui s’adresse au corps pensant réanime l’esprit. Le terme « réanime » est à entendre au sens d’anima c’est-à-dire animé, remis en mouvement. Il s’agit d’initier le changement qui intervient en hypnose par le biais d’un truchement de suggestions glissées au cœur d’un langage métaphorique. Cette modalité de communication crée de la confusion et conduit à une dissociation propice à dépasser la difficulté. Le recours à la dissociation hypnotique dans le cadre de la gestion de la douleur peut s’appliquer de deux manières. Il est possible de proposer à la personne de réifier sa douleur, c’est-à-dire de transformer la perception douloureuse en un objet à partir duquel des changements seront suggérés. Par exemple, la douleur placée en imaginaire dans un ballon bleu va pouvoir changer de couleur, de consistance, réduire en taille. Par ce procédé le patient place à l’extérieur de lui, la sensation qui pesait un peu plus tôt à l’intérieur de lui. Il s’agit là d’une première modalité de dissociation vis-à-vis de la douleur. Mais il est également possible de procéder à une dissociation inverse c’est-à-dire qu’il est suggéré au patient que ce soit lui qui s’éloigne en imaginaire de ce qui le fait souffrir, de la sensation gênante. On proposera par exemple d’imaginer un voyage en montgolfière. Plus celle-ci prend de l’altitude et plus ce qui paraissait important vu d’en bas devient petit … Outre le recours au langage métaphorique, en hypnoanalgésie on prendra soin d’éviter certains mots, de gommer les termes et expressions qui ramènent la pensée à ce qui fait mal. L’hypnoanalgésie est un outil précieux dans le cadre de douleurs aigues car on peut y recourir sans que le patient dispose d’un quelconque entraînement ou d’une expérience antérieure de l’hypnose. L’efficacité de l’hypnose pour réduire la douleur est désormais mise en évidence par de nombreuses travaux scientifiques comme le montre une récente méta analyse[10] regroupant 85 études (g=0.54-0.76, p < .001). L’intérêt du recours à l’hypnoanalgésie pour diminuer la consommation d’antalgiques dans le cadre de la douleur procédurale est également souligné par une méta analyse rassemblant 1365 patients[11]. Au terme de cette mise en perspective de la méditation et de l’hypnose dans le cadre du soulagement de la douleur il est possible de résumer les points communs qui les rassemblent. On retiendra que méditation et hypnose sont des activateurs de la faculté d’auto-soulagement dont chaque personne dispose, souvent, sans en avoir conscience. Leur pratique offre au patient la possibilité de découvrir que, de même qu’il est équipé pour ressentir la douleur, de même il dispose de l’équipement nécessaire pour y répondre. Il retrouve ainsi de la liberté, l’esprit se remet en mouvement et commence à se dissocier de la douleur dont il était captif. Hypnose et méditation ouvrent toutes deux de nouveaux chemins au soulagement bien que leurs modalités diffèrent quelque peu. Ces méthodes se distinguent par leurs modes d’application mais se rejoignent dans leurs visées[12] (confère tableau annexe 1). Conclusion Le développement des méthodes psychocorporelles marque une véritable bascule de paradigme vis-à-vis de la gestion médicale de la douleur. En effet la douleur est à la fois un phénomène physiologique auquel s’intéresse désormais la médecine mais il est désormais admis qu’il s’agit d’une expérience existentielle singulière à laquelle la personne peut répondre par le biais d’une démarche a priori paradoxale c’est-à-dire en « accueillant » la douleur plutôt qu’en cherchant systématiquement à « lutter contre ». Voilà en quoi le déploiement de ces méthodes inaugure un changement de paradigme en médecine de la douleur : la combinaison de la prévention et du traitement systématisés avec l’activation des ressources propres aux patients. Ces approches caractérisent une conception holistique qui dépasse une représentation médicale normée de la douleur, réduite au seul symptôme. Il s’agit là d’un modèle précurseur de l’approche médicale qui doit sans cesse rechercher à mettre la personne qui souffre de douleur au-dessus de la douleur, à la manière de Georges Canguilhem philosophe et médecin qui invitait à mettre la personne malade au-dessus de la maladie. « La maladie n’est pas seulement déséquilibre ou dysharmonie, elle est aussi, et peut-être surtout, effort de la nature en l’homme pour obtenir un nouvel équilibre. La maladie est réaction généralisée à intention de guérison. L’organisme fait une maladie pour se guérir. »[13] Georges Canguilhem nous dit ici, l’impérieuse nécessité de considérer maladie et malade et pour ce qui nous concerne, douleur et personne qui souffre de douleur, de manière synthétique pour en imaginer le dépassement. La recherche d’un nouvel équilibre suite à l’expérience de la douleur est sans doute la vocation implicite de l’hypnose et de la méditation. Références
Annexe 1
[1] Montaigne, Michel, Les essais, Paris, Le Livre de Poche, 2002, p.1186. [2] Schopenhauer, Arthur, Le monde comme volonté et comme représentation, PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE - PUF, 2014, p.1337. [3] Le breton, David, Anthropologie de la douleur, Paris, Éditions Métailié, 1995. [4] André, Christophe, Méditer, jour après jour, Paris, L’Iconoclaste, 2011, p. 180. [5] Précisons que la méditation peut être utile dans le cadre de la douleur aigue à condition que le patient ait déjà une pratique de celle-ci. [6] Sharon, Haggai et al., « Mindfulness Meditation Modulates Pain Through Endogenous Opioids », The American Journal of Medicine, vol. 129, no. 7, juillet 2016, pp. 755‑758. [7] Roustang, François, Qu’est-ce que l’hypnose ?, Paris, Minuit, 2002. [8] Bioy, Antoine, L’hypnose, PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE - PUF, 2017. [9] Roustang, François, Il suffit d’un geste, Paris, Editions Odile Jacob, 2004. [10] Thompson, Trevor et al., « The effectiveness of hypnosis for pain relief: A systematic review and meta-analysis of 85 controlled experimental trials », Neuroscience and Biobehavioral Reviews, vol. 99, , 2019, pp. 298‑310. [11] Noergaard, Marianne Wetendorff et al., « The effectiveness of hypnotic analgesia in the management of procedural pain in minimally invasive procedures: A systematic review and meta-analysis », Journal of Clinical Nursing, vol. 28, no. 23‑24, décembre 2019, pp. 4207‑4224. [12] Nous plaçons en annexe un tableau synthétique des éléments centraux de la démarche en spécifiant les caractéristiques propres à la méditation et à l’hypnose. [13] Canguilhem, Georges, Le normal et le pathologique, Paris, Presses Universitaires de France - PUF, 2009, p.12-13. Notice n° 8786, créée le 03/06/2021, mise à jour le 11/04/2023 |
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