Reconditionnement physique des patients douloureux chroniques Type de document : Actes de congrès Auteur(s) : Fouquet, Bernard Congrès : Douleur provoquée par les soins - 13ème journée de l'A-CNRD Date : 18/10/2018 Lieu : Faculté de Médecine des Saint-Pères, Paris Mots clés : douleur chronique / Journée / CNRD / reconditionnement Pr. Bernard FOUQUET, Fédération de Médecine Physique et de Réadaptation, Hôpital Jean Delaneau, CHU Tours (37)
Au cours d’un processus douloureux chronique, en particulier concernant l’appareil locomoteur, peut survenir un tableau dit de déconditionnement, intriquant des facteurs physiques, psychologiques et des facteurs sociaux. Ce syndrome de déconditionnement modifie parfois durablement les fonctions et les structures d’une personne, réduisant les activités, et, potentiellement, majorant la restriction de participation sociale.
La restriction de participation sociale est un enjeu majeur pour l’individu car il conduit à la précarité sociale. L’incapacité à pouvoir retourner au travail (ou la restriction de participation) permet une approche indirecte du déconditionnement. Elle est associée à des intrications complexes entre : le statut médical, les fonctions physiques (fonctions musculaires de force, d’endurance, fonction aérobie, fonction nutritionnelle...), la tolérance au travail et les facteurs psychologiques. Qu’il s’agisse de patients lombalgiques chroniques ou de patients souffrant de Troubles Musculo-Squelettiques (TMS), l’espérance de retour au travail, paramètre subjectif de la santé au travail, est le plus puissant facteur prédictif de réponse à un programme de réadaptation. Les patients souffrant de TMS de façon prolongée (chroniques par la douleur et l’incapacité), sont caractérisés par :
Le syndrome de déconditionnement
Généralités Le syndrome de déconditionnement (« disuse syndrome » des anglo-saxons) est un tableau complexe, physique, psychologique, social. Les caractéristiques générales de ces patients en situation de déconditionnement peuvent être expliquées de plusieurs façons :
L’incapacité physique (soit par sensibilisation centrale médullaire et corticale, soit par anticipation anxieuse) s’aggrave progressivement, conduisant à la réduction progressive de toutes les activités participatives (activités de loisirs, activités ménagères). Ce processus précoce de réduction de la capacité à effectuer des activités courantes, peu contraignantes, peut être facilement dépisté précocement dans l’évolution du patient. Le syndrome de déconditionnement combine donc : les effets de l’inactivité physique et des mécanismes cognitivo-comportementaux qui ont pu conduire à la sensibilisation initiale (catastrophisme, évitement anxieux). Le comportement d’évitement (bien qu’il soit négatif dans ses conséquences socio-professionnelles) ne peut pas changer tant que l’individu ne cherche pas à le modifier. Beaucoup de TMS, comme la lombalgie, sont favorisés par un état de santé précaire préexistant (par des comorbidités qui sont des facteurs de risque). Sur ce terrain, l’inactivité va conduire progressivement à une aggravation de ces atteintes fonctionnelles. L’affection causale peut, elle-même, induire des modifications des fonctions articulaires, tendineuses, musculaires. L’âge est un facteur d’aggravation de la détérioration de multiples fonctions participant au déconditionnement.
Le syndrome d’inactivité physique Il comprend des modifications locorégionales et des modifications générales. Elles ont toujours un aspect variable d’un individu à l’autre. Toutefois, ces modifications, évaluées une fois l’individu en arrêt de travail prolongé, sont la somme potentielle : de l’état physique avant l’arrêt et de ce qui est survenu pendant l’arrêt. Localement, les modifications physiques comportent :
Les modifications physiques générales comportent :
Ainsi, chez les patients vraiment déconditionnés, existe une perte de capacité maximale aérobie les rendant incapables de reprendre le travail du fait de la perte de la puissance maximale de l’exercice professionnel ou puissance « critique », atteinte au maximum d’une activité professionnelle. Ces modifications générales conduisent à une majoration de la fatigabilité objective et subjective de l’individu. Cette dernière est encore amplifiée par les troubles du sommeil si fréquents au cours des phénomènes douloureux chroniques.
Composante psychologique du déconditionnement lié à la douleur ; impacts de la sédentarité. Des perturbations importantes peuvent être notées, quelques soient les moyens d’évaluation utilisés. Ces perturbations peuvent être précoces et seraient un facteur prédictif d’incapacité prolongée plus que l’intensité de la douleur elle-même. Elles comportent, à des degrés divers, des scores élevés pour les échelles d’évaluation de la dépression (Échelle de Beck), d’anxiété (Échelle d’Anxiété d’Hamilton) ou des sous scores d’auto-questionnaires explorant la dimension psychologique (ISPN, GHQ12, SIP, SF-36). Les modifications des scores psycho-affectifs sont liées à la fois à des facteurs préexistants mais aussi à des modifications induites par la durée du trouble. Outre ces modifications, d’autres anomalies peuvent être observées :
En outre, ces patients ont tendance à décrire de multiples phénomènes douloureux (troubles somatoformes en lien avec la sensibilisation centrale) en particulier des :
Plus le tableau douloureux est diffus, plus les modifications psycho-comportementales sont importantes et plus les manifestations somatiques augmentent, entraînant plus de troubles cognitifs et comportementaux. La perte progressive de la capacité physique induit de plus une « surestimation » de la contrainte professionnelle, « sur-handicapant » le salarié en arrêt de travail prolongé. À ce stade, les conséquences psycho-biologiques du stress jouent un rôle d’amplification sur les perturbations psychologiques. Les croyances en l’évitement anxieux ne peuvent que s’accentuer avec le temps. Toute la problématique de l’individu dans cette situation est que la stratégie cognitivo-comportementale mise en place est anticipative : moins les activités sont intenses moins il est capable d’en faire, et plus l’individu devient sédentaire. En outre, se met en place une stratégie d’évitement à toute contrainte affective ou de frustration se traduisant par des symptômes à type d’irritabilité, rendant la relation thérapeutique compliquée.
Le reconditionnement physique
Le reconditionnement physique s’est développé au début des années 1980 dans le contexte de la lombalgie chronique. Il faudra attendre le début des années 2000 pour que ce concept de syndrome de déconditionnement soit étendu à d’autres affections non obligatoirement douloureuses (sclérose en plaques, hémiplégie, suites de cancers...). Le reconditionnement :
Principes généraux Les objectifs recherchés au cours d'un programme de reconditionnement sont de restaurer les conditions physiques, psychologiques et sociales des patients ayant un tableau incapacitant chronique. Ces trois dimensions doivent être confrontées aux attentes du patient qui, souvent, recherche l’indolence totale, ce qui ne peut pas être obtenue. Le patient doit être actif - dans la dimension « activités physiques », - dans la dimension psychologique où il doit s'autoévaluer en termes d'anomalie de stratégie par rapport au processus douloureux, - dans la dimension sociale où la réalisation d'un projet de vie clair doit être affiché dès le départ. Dans tous les programmes de reconditionnement, l'objectif est que le patient soit actif dans sa démarche au cours de l'évolution de la prise en charge. En effet, l’objectif est qu’il perçoive que le fait de rester actif malgré la douleur fait qu’il la contrôle mieux et que malgré la douleur, il peut poursuivre une activité sociale et professionnelle. C’est dans ce sens que l’on peut évaluer le succès d’un programme de reconditionnement sur le long terme. Ce que ne peut pas un programme de reconditionnement, c’est régler le problème dans les champs social et professionnel.
Il reste à ce jour à préciser la manière dont agit un programme de reconditionnement dans les TMS :
En revanche, l’amélioration sur les croyances en l’évitement anxieux lié au travail peuvent ne pas être modifiées car dépendantes de facteurs environnementaux (acteurs de santé, entourage familial, contexte de travail).
Populations Les populations admises ne sont homogènes ni par leur niveau d’incapacité ni par la gestion des phénomènes douloureux, ce qui nécessite des complémentarités thérapeutiques en fonction des individus (médicamenteuses, psychothérapiques).
Modalités Les modalités utilisées et validées dans la lombalgie commune chronique peuvent être appliquées à d’autres TMS, voire, même, à des affections chroniques dès lors que celles-ci sont stabilisées. Se développent ainsi des programmes pour des rhumatismes inflammatoires ou des affections neurologiques chroniques.
Dans les TMS, ils ont montré une reprise du travail plus fréquente par rapport à une prise en charge ambulatoire habituelle. Dans tous les cas, il est mentionné une amélioration de la qualité de vie, indépendamment du niveau de performance atteint.
Différentes modalités sont pratiquées :
Un patient qui a peur « de faire » doit être rassuré et accompagné ; cette méthode a l’avantage d’éviter une hospitalisation et un délai d’admission, donc de la sédentarité, délétère sur l’état de santé ;
Les programmes de reconditionnement sont caractérisés par une approche multidisciplinaire :
Le reconditionnement physique comprend plusieurs volets :
Les patients sont hospitalisés pendant une durée de 3 à 8 semaines en fonction des équipes. Ils sont éduqués et accompagnés tous les jours, 5 jours par semaine, sur des durées quotidiennes de 6 à 7 heures avec une progression dans les intensités et le nombre d’exercices au cours du séjour. Il semble que les effets sont significatifs sur la douleur, l’incapacité, et la participation sociale, dès lors que le seuil de 100 heures par programme est atteint.
Référentiels Dans la lombalgie chronique, le référentiel de l’HAS précise que le minimum réside dans la pratique d’exercices physiques supervisés. Pour ce qui concerne le retour au travail, la gestion de la douleur, l’incapacité, les méta-analyses et revues de la littérature militent en faveur :
Dans les TMS chroniques, soit du fait de séquelles douloureuses et incapacitantes d’une affection spécifique (hors épaule), soit du fait d’une affection douloureuse non spécifique, il n’existe pas de référentiel publié. En revanche, les études de séries de la littérature montrent une efficacité sur la durée des arrêts de travail et sur le retour au travail par rapport à des soins habituels, par rapport à la pratique encadrée seule d’exercices physiques dans la lombalgie. Un des éléments clefs est de comprendre qu’à ce jour ce qui pose problème dans l’évaluation de ces résultats est le critère principal de jugement : - le retour au travail comme critère principal de jugement n’est pas seulement en lien avec l’accompagnement biomédical mais il est aussi en lien avec les modalités d’accompagnement social du douloureux chronique salarié (assurance maladie, modalités de couverture assurantielle, réactivité des organismes de reconversion professionnelle, réactivité des acteurs de santé au travail…), - l’amélioration de la douleur n’est pas un critère principal de jugement dans les programmes de restauration fonctionnelle qui se fondent sur la reprise des activités et donc potentiellement sur la participation active professionnelle ; les programmes de restauration fonctionnelle ont pour objectif principal de permettre de « faire » sans ce que cela augmente la douleur.
On a souvent reproché leurs coûts aux programmes de reconditionnement. Des études médico-économiques sérieuses sont nécessaires, incluant les coûts directs de santé en lien avec les indemnités journalières et les coûts indirects induits par l’arrêt de travail dans l’entreprise, comme ceux des assurances qui couvrent souvent le salarié pendant une période d’incapacité à travailler. En l’absence d’étude précise dans ce domaine, il apparaît clair que ces programmes doivent être réservés en priorité aux patients ayant un projet clair de retour à une activité professionnelle ou de retour à l’emploi.
Conclusions Le reconditionnement à l’effort s’intègre dans une prise en charge globale d’un état de santé caractérisé par une douleur chronique et incapacitante. Il vise à restaurer l’autonomie et la confiance en elles–mêmes des personnes douloureuses chroniques. Il comporte toujours une dimension éducative à la pratique physique, adaptée à chaque personne. Le reconditionnement à l’effort peut être en ambulatoire (prescrit par un médecin) ou en hospitalisation en fonction de l’importance des pertes de fonction, de la durée d’incapacité, des enjeux participatifs socio-professionnels.
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