Lettres de douleur, la visite avant la visite Type de document : Actes de congrès Auteur(s) : Perrot, S. Congrès : Douleur provoquée par les soins - 13ème journée de l'A-CNRD Date : 18/10/2018 Lieu : Faculté de Médecine des Saint-Pères, Paris Mots clés : douleur / Journée / CNRD Pr. Serge PERROT, Centre de la douleur, Hôpital Cochin, Université Paris Descartes,INSERM U987, Paris (75) Dans la plupart des pays et des systèmes de soin, la prise en charge par les centres multidisciplinaires de traitement de la douleur est difficile d’accès, avec des délais importants justifiant des systèmes de tri et de demandes spécifiques. En France, il existe environ 250 centres de traitement de la douleur pour les cas complexes, sans accès direct pour les patients. Pour être pris en charge, les patients douloureux doivent être adressés avec un courrier de demande du médecin référent, généraliste ou spécialiste, conformément aux directives nationales de l'autorité de santé française (HAS 2008). Dans certains cas, la lettre de demande du médecin est accompagnée d'une lettre de patient pour fournir des informations supplémentaires, renforcer la demande et réduire le délai d'attente. Ces courriers de patients souffrant de douleurs chroniques, envoyés parallèlement à la lettre de recommandation du médecin du patient représentent un matériel très particulier dans la mesure où ils ne sont pas demandés et n’ont pas de forme prédéterminée (Perrot, 2017).La décision de fournir des informations avant la visite par lettre personnelle est donc une décision personnelle, à la discrétion du patient. Les documents écrits diffèrent des entretiens en ce sens qu'ils sont généralement exploratoires, et non pas en réponse à des questions précises, que ce soit des manuels, des journaux, des disques ou d'autres documents personnels tels que des lettres d'information de l'individu (Love, 2003). En conséquence, les lettres des patients souffrant de douleur représentent un matériau unique pour une exploration qualitative de la perspective des patients sur leur gestion de la douleur dans leur propre identité et identité narrative (Ricœur, 1990). La narration proposée dans les lettres de patients est particulièrement intéressante pour comprendre les aspects cognitifs, symboliques et affectifs de l’histoire des patients (Charon, 2001a). En effet, «parce que trouver les mots pour contenir le désordre et ses conséquences donne forme au contrôle du chaos et le contrôle» (Charon, 2001a), le simple fait que le patient raconte son histoire peut aider la personne à mieux supporter la douleur (Charon, 2001b).La manière dont les connaissances littéraires et scientifiques peuvent se compléter dans le domaine médical a été exprimée comme suit : « Les connaissances scientifiques tentent d'illuminer l'universellement vrai en transcendant le particulier ; la connaissance narrative tente d'illuminer l'universellement vrai en révélant le particulier » (Charon, 2001a). D’un côté, les termes utilisés pour exprimer un diagnostic final peuvent être étiquetés comme un vocabulaire biomédical se référant à une connaissance biomédicale, qui est générale et considérée comme objective et valorisée. De l'autre côté, la connaissance narrative est qualitative et affective, sans prétention à être objective ou à valeur neutre (Vannatta et Vannatta 2013). Le vocabulaire narratif décrit un phénomène, un récit de maladie dans lequel «le tout est plus grand que la somme de ses parties alors que le vocabulaire biomédical raconte une histoire où le tout est égal à la somme de ses parties» (Vannatta et Vannatta 2013). Le terme « médecine narrative » (NBM) a été conçu parallèlement à celui de la médecine fondée sur des preuves pour souligner le rôle des récits des patients en tant que source de connaissances pour les preuves, au-delà des normes des essais contrôlés randomisés sur EBM (Kalitzkus et Matthiessen, 2009). En effet, ces récits soulèvent la question de la causalité du point de vue du patient et, en tant que tels, doivent être considérés comme des ressources permettant de mieux comprendre la signification et la perception de la maladie spécifiques au patient (Greenhalgh, 1998). Notre étude est la première à analyser un matériel source très particulier, les lettres des patients adressées spontanément à un centre de la douleur, avant leur premier rendez-vous. Ces lettres sont très différentes des lettres de remerciement après une visite, qui ont tendance à résumer l'expérience de la consultation du patient, avec des remerciements ou des plaintes. Dans notre étude, la lettre de douleur typique était une illustration en soi du modèle biopsychosocial. En effet, que ce soit à court ou à long terme, ces lettres abordaient différentes dimensions et thèmes. Certains ont commencé au tout début de l'expérience de la douleur avec tous les aspects de sa complexité : physique, psychoaffectif, social, intégré dans une période où la chronicité est centrale. Les caractéristiques personnelles ont été au premier plan dans les lettres : les patients se sont présentés en fonction de leurs caractéristiques personnelles, familiales, sociales et professionnelles. Lorsqu'elle était décrite, la douleur était considérée comme ayant un impact majeur sur la vie quotidienne de la personne, entraînant éventuellement des troubles de l'humeur, un isolement social, une diminution des activités, y compris du travail et, dans certains cas, des problèmes financiers, la peur de l'avenir et sens généralisé de la perte. L'histoire de la douleur est bien sûr une composante essentielle de ces lettres, faisant référence aux relations patient-médecin antérieures et signalant leur succès ou leur échec dans la longue histoire des traitements et des explorations. Dans leurs lettres au centre de la douleur, les patients suggéraient rarement d’autres hypothèses diagnostiques. En conclusion Les lettres envoyées par le patient souffrant de douleur avant la consultation dans un centre de douleur tertiaire contiennent des informations importantes sur les problèmes biopsychosociaux liés à la douleur chronique et sur le trajectoire du patient, un matériel de médecine narrative spontané, touchant et très utile à prendre en compte. Environ un tiers des patients référés à notre centre de traitement de la douleur ont spontanément envoyé de telles lettres. Leur analyse, en plus des entretiens et des consultations, peut améliorer la relation entre le médecin et le patient et aider à comprendre le point de vue du patient, ses croyances et ses attentes. Il serait intéressant d'étudier les courriers de patients provenant d'échantillons plus diversifiés et dans d’autres systèmes de soins. Il serait enfin utile de déterminer si ces lettres influencent les perceptions, les expériences et les attentes des patients mais aussi quel est leur impact sur la relation et les soins proposés par les professionnels de la médecine de la douleur.
Références Charon, R. (2001a). The patient-physician relationship. Narrative medicine: A model for empathy, reflection, profession, and trust. JAMA 286, 1897–1902. Charon, R. (2001b). Narrative medicine: Form, function, and ethics. Ann Intern Med 134, 83–87. Greenhalgh, T. (1998). Narrative based medicine in an evidence based world. In Narrative Based Medicine: Dialogue and Discourse in Clinical Practice. T. Greenhalgh, B. Hurwitz, eds. (London: BMJ Books) 247–265. Kalitzkus, V., Matthiessen, P.F. (2009). Narrative-based medicine: Potential, pitfalls, and practice. Perm J 13, 80–86. Love, P. (2003). Document analysis. In Research in the College Context. F.K. Stage, K. Manning, eds. (Hove, New-York: Brunner-Routledge) 83–97. Perrot S, Launay A, Desjeux D, Cedraschi C (2017). Pain patients' letters: The visit before the visit - A qualitative analysis of letters from patients referred to a tertiary pain center. Eur J Pain. 6:1020-1030. Ricœur, P. (1990). Soi-même comme un autre. (Paris: Seuil). Vannatta, S., Vannatta, J. (2013). Functional realism: A defense of narrative medicine. J Med Philos 38, 32–49. Notice n° 8063, créée le 12/11/2018, mise à jour le 12/09/2024 |