Parcours de vie d'un patient douloureux Type de document : Actes de congrès Auteur(s) : Ghadi, Sidi-Mohammed Congrès : Douleur provoquée par les soins - 12ème journée de l'A-CNRD Date : 12/10/2017 Lieu : Faculté de Médecine des Saint-Pères, Paris Mots clés : usagers / co-acteur / parcours du patient / Journée / CNRD Parcours de vie d’un patient douloureux : témoignage
Je tiens à vous dire dans quel état de désarroi ma douleur me plonge, quand on est dans l’incapacité de nommer la maladie, qui est responsable de mes douleurs. On est prêt alors à « gober » tout ce qu’un soignant peut vous apporter comme espoir d’identification de la maladie. On est dans un sentiment d’irrationalité. Celui qui va vous dire ce que vous avez, est considéré comme le Messie!! On veut savoir pourquoi on a mal pour pouvoir l’accepter.
Mon parcours de patient douloureux 2001 : Accident de travail : j’entame et je vis une période d’errance médicale par rapport à la prise en charge de ma douleur qui va durer 3 ans. Je travaille dans une entreprise de téléphonie où je suis responsable de la satisfaction et qualité des clients grands comptes. En mai sur mon lieu de travail, je fais une chute dans les escaliers. Mon employeur me demande d’aller voir le médecin conventionné de l’entreprise. Celui-ci m’arrête un mois et prolonge régulièrement cet arrêt jusqu’à six mois. Je n’ai rien de « cassé » mais j’ai mal et souffre depuis six mois. Aucun examen radiologique n’est prescrit, seulement du paracétamol. Malgré cette douleur omniprésente, je reprends mon travail mais au bout de deux mois, je suis complètement bloqué à mon domicile. Mon employeur m’autorise à consulter « le médecin de quartier ». Celui-ci ne fait que m’arrêter en stipulant que c’est une rechute de mon accident de travail ! Aucun examen radiologique n’est prescrit et je continue le paracétamol et à souffrir.
2002 : Un an plus tard, convocation à la médecine de contrôle de la sécurité sociale En octobre, je suis convoqué par le médecin de la sécurité sociale suite à mes arrêts successifs. Il ne comprend pas qu’il n’y ait eu aucun examen radiologique sollicité et me demande de me tourner vers mon médecin de famille. Ce dernier me prescrit successivement : radios, scanner, IRM et on découvre que j’ai des tassements vertébraux sur quatre vertèbres, des hernies discales et des névralgies cervico-brachiales. Le traitement prescrit n’est encore que du paracétamol. Devant mes souffrances mon médecin de famille m’oriente vers un rhumatologue afin que celui-ci puisse me prescrire des antalgiques plus puissants. Avec du tramadol, j’ai toujours mal !! J’ai des séances de kinésithérapie mais au bout d’un mois sans succès de diminution de ma douleur, le praticien change de thérapie et essaie les étirements : je suis de nouveau bloqué et alité pendant deux mois. Le rhumatologue, n’arrivant pas à prendre en charge ma douleur, me demande alors d’aller voir un confrère. Je fais jouer mes relations pour trouver un nouveau rhumatologue de ville. Je subis trois infiltrations. Seule la première aura un effet bénéfique. J’ai d’autres antalgiques plus « puissants » que le paracétamol mais je suis toujours douloureux.
2004 : Relation de confiance avec le médecin du CETD : ma douleur devient acceptable après 3 ans de souffrance et d’errance médicale Ce deuxième rhumatologue m’adresse dans le service de rhumatologie d’un hôpital parisien. Je suis hospitalisé pendant dix jours et je bénéficie de la consultation du docteur qui travaille au CETD. A ma sortie, je la vois en consultation tous les deux mois puis tous les mois, ma douleur devient « acceptable » et je profite même de deux périodes « d’accalmie ». Grâce à ce médecin; je comprends le sens de la « vraie » relation médecin-patient et nous instaurons une confiance mutuelle. Même si je suis toujours douloureux, je pars des consultations toujours avec la naissance d’un espoir de soulagement, de trouver une solution. Je suis écouté et entendu et je ne ressens pas de sa part une lassitude du patient non soulagé et pénible. Cependant, à force d’augmenter les morphiniques, j’ai moins mal dans un premier temps jusqu’à l’accoutumance de mon corps à cette nouvelle posologie. Mais malheureusement j’ai de nouveau mal et par conséquent, je n’ai plus de vie sociale car je suis comme un légume au fond de mon lit à baver…Je prends conscience que cela ne peut plus durer. Je décide donc avec le docteur du CETD de diminuer les morphiniques puis de les arrêter et de nous orienter vers des médecines « parallèles » : auriculothérapie, psychothérapie, ostéopathie, magnétothérapie, psychothérapie, acupuncteur, etc. Je suis une psychothérapie pendant cinq ans et « en conclusion », ma douleur est réelle et n’a pas de fondement uniquement psychologique.
2004-2016 : Bonne prise en charge de la douleur pendant 12 ans J’ai bénéficié d’une bonne prise en charge de la douleur et je pouvais dialoguer et échanger avec le docteur du CETD au téléphone, en dehors de la consultation en cas d’aggravation de mes douleurs.
2016 à septembre 2017 : Régression de la prise en charge de ma douleur Depuis le départ du docteur du CETD en juillet 2016, je ne peux bénéficier que d’une, voire deux consultations par an au CETD. Cette nouvelle prise en charge ne me convient pas. Le CETD me propose alors d’aller consulter dans un autre centre de la douleur en bénéficiant en septembre d’une dernière consultation qui sera pluridisciplinaire. Néanmoins, je sens que je vais entamer une nouvelle errance de la prise en charge de ma douleur et cela m’atterre. J’ai l’impression d’avoir régressé dans la lutte contre ma douleur. Actuellement je suis sous patch de Versatis® et je prends 4 grammes de doliprane par jour. Ma douleur est supportable mais omniprésente. Elle génère une fatigue que je qualifie de « capricieuse » car elle arrive sans prévenir, par crise. Par conséquent, il est difficile de « gérer ma vie ». Cette imprévisibilité pèse comme un couperet car à moins d’une heure d’un rendez-vous, je peux le décommander. Sans entrer dans les détails, mon parcours d’errance médicale et même à ce jour, le soulagement de ma douleur par des méthodes non pharmacologiques a un réel coût financier personnel.
Mon parcours associatif et représentant des usagers Membre d’une association Depuis 2001, je ne travaille plus. « Pour m’occuper », pour retrouver une fonction sociale, pour aider un ami, j’accepte d’être membre de l’association des familles victimes du saturnisme (2010-2011). Mon corps me fait mal mais ma tête fonctionne !
Pourquoi je suis devenu représentant des usagers? Dans les salles d’attentes de consultation, nous avons le temps d’échanger, de parler de discuter entre patients. Que ce soient sur notre douleur, notre ressenti, notre maladie et notre prise en charge de la douleur. A travers ces nombreux échanges, je perçois ce qui nous manque, nous les patients-douloureux. La compréhension « du monde médical », leur vocabulaire, comment ça fonctionne entre professionnels, leur explication sur leur compréhension de notre douleur, sur le traitement, sur la douleur et ses mécanismes, comment ils considèrent la relation avec le patient…Je comprends que je ne suis pas seul à vivre, ce que nous vivons tous : l’éloignement de nos familles, leurs lassitudes devant nos plaintes, l’incompréhension de nos douleurs, leur impuissance à nous aider. Nos familles si proches de nous mais diminuées elles-mêmes par leurs efforts pour nous soutenir. Nous nous sentons isolés dans notre propre famille et même au sein du couple. Je propose alors au docteur du CETD de créer un groupe de paroles des patients douloureux. Cette suggestion ne se concrétise pas. Lorsqu’en 2013, le chargé des relations avec les usagers et associations de l’hôpital parisien et la représentante des usagers me sollicitent pour être représentant des usagers suppléant, j’accepte.
Procédure pour devenir représentant des usagers Pour devenir représentant des usagers, il faut faire partie d’une association agréée en santé soit régionale, soit nationale. L’usager fait acte de candidature auprès de l’ARS qui désigne l’établissement. L’ARS transfère la demande à l’établissement en principe sollicité par le candidat. Ensuite, c’est le Directeur de l’établissement qui officialise le représentant des usagers.
Statut du représentant des usagers Le représentant des usagers est un bénévole, indépendant de l’hôpital. Il est soumis au secret professionnel. Il « facilite l’expression des patients, favorise le dialogue et l’échange avec tous les acteurs de l’hôpital ».
Domaines d’intervention du représentant des usagers Un usager peut s’adresser à nous pour n’importe quelle question ou « problème ». Il peut nous joindre par téléphone (numéro qui doit être affiché dans le service) ou écrire au Directeur de l’hôpital ou à la Direction des usagers (le courrier nous sera transmis).
Mon parcours de co-acteur de la prise en charge de la douleur Depuis 2016, sur le groupe hospitalier (Saint-Antoine, Trousseau- La Roche-Guyon, Tenon et Rothschild), je suis Vice-Président de la Commission Des Usagers (CDU) appelée auparavant CRUQPC (Commission des Relations avec les Usagers pour la Qualité et de la Prise en Charge). Quatre fois par an, la commission se réunit. Elle comprend 17 personnes : le Président, le Vice-Président, + les 2 médiateurs médicaux et non médicaux, 2 représentants des usagers et leurs 2 suppléants et la responsable de la qualité et la gestion des risques. Lors de ces réunions sont présentées les lettres de satisfaction et de plaintes des patients. Le rôle de la commission est l’analyse de ces courriers. Il s’agit à (80%) de plaintes concernant les relations avec l’équipe médicale (problèmes d’information et de compréhension). Les autres 20% concernent des réclamations de pertes d’objets (prothèses, lunettes) et le montant de la facture (consultation, soins et hospitalisation).
Co-acteur dans la commission des usagers
A la lecture des courriers, le représentant des usagers fait bien prendre conscience aux acteurs présents qu’il y a un réel problème à traiter et qu’il faut agir. Son rôle toujours en collaboration avec les équipes médicale et paramédicale est d’en comprendre la cause pour proposer des axes d’amélioration, des pistes de travail. Premier exemple : « Problématique d’identitovigilance dans un service de chirurgie ». Les soignants n’étaient pas à l’aise de demander 4 à 5 fois l’identité du patient. Le service a proposé un audit et a souhaité intégrer les représentants des usagers. Nous avons accepté en suggérant d’y ajouter au questionnaire, des items concernant la prise en charge du patient : la douleur, l’information, l’accueil et l’écoute. Ce sont les représentants des usagers qui ont audité les patients pendant plusieurs jours. Les résultats concernant la douleur : il n’y avait pas d’information ni d’évaluation de la douleur post-opératoire. Si bien que certains patients n’osaient pas dire qu’ils avaient mal de peur de passer pour des douillets voir des « chochottes » (mots des patients). Mesure mise en place : information du patient et évaluation systématique de la douleur post-opératoire. Concernant l’identitovigilance, les patients préfèrent répéter 4 à 5 fois leur identité pour éviter toute erreur.
Deuxième exemple : Il y avait un secteur d’activités où les membres de l’unité douleur ne pouvaient pas intervenir. Suite à des plaintes répétées qui me sont parvenues directement des patientes et aussi par le CLUD, j’ai demandé à la CRUA (Commission des Relations avec les Usagers et les Associations) d’enregistrer la dernière plainte. Le fait que le service sache que celle-ci avait été enregistrée et que nous allions les rencontrer, il a sollicité l’équipe mobile douleur. Ensemble ils ont écrit un protocole qui formalisait l’intervention de l’équipe de l’unité douleur dans ce service.
C’est d’apporter aux autres patients douloureux : l’envie de retravailler, de casser l’isolement, de leur recréer un tissu social entre personnes qui se comprennent, de rendre service et de leur dire qu’ils doivent avoir un projet de vie. Leur faire comprendre également la relation de confiance entre le médecin et eux, qu’ils ne sont plus des acteurs passifs mais actifs. Que nous ne sommes plus dans la relation paternaliste du médecin, mais que nous sommes des co-acteurs de la prise en charge de notre maladie, de notre douleur. Nous avons une expérience de notre maladie.
C’est de travailler ensemble avec les professionnels de la santé, sur un socle commun qui est l’amélioration de la prise en charge des patients. Pour cela nous partons des besoins du patient, des informations qui lui sont divulguées et surtout comprises par lui-même. Le patient est dorénavant un acteur de sa santé et n’oublions pas son consentement éclairé. En principe, in fine, c’est le patient qui prend la décision finale.
En 2012, le médecin du CETD ne constatait pas d’amélioration suffisante quant à la prise en charge de ma douleur avec les médicaments prescrits depuis quelques mois. Grâce à notre relation de confiance, j’ai pu aborder avec elle, les méthodes non-pharmacologiques au bout de huit ans. Au début, elle n’était pas trop favorable mais ne voyant pas d’amélioration, nous avons décidé d’expérimenter l’acupuncture dans le centre de la douleur, la mésothérapie en externe; l’auriculothérapie, la balnéothérapie. Ces méthodes m’ont beaucoup soulagé. Ce que nous avons compris et accepté mutuellement, est que le médecin donne son avis médical, il est expert dans le domaine de la douleur mais que n’est pas l’expert de la douleur que vit le patient. C’est pourquoi l’ouverture à des méthodes non pharmacologiques pour le patient est un succès de collaboration patient-soignant.
Comment parler en tant que représentants des usagers ? Pour être compris et écouté du corps médical et paramédical, il faut adopter leur langage, et se l’approprier. J’ai suivi quelques modules du D.U. de « Démocratie en santé » en candidat libre. Ces nouvelles connaissances m’ont permis d’avoir une reconnaissance d’un savoir-être, de pouvoir ainsi mieux dialoguer et échanger avec les professionnels de la santé et même obtenir un regard différent des médecins à mon encontre. Avant ces cours, il fallait toujours se justifier pour être entendu.
Cette fonction de Vice-président des usagers, être le porte-parole de tous les usagers me tient à cœur. Nous sommes considérés comme des points d’éveil et de vigilance. La volonté d’être co-acteur de sa maladie avec les professionnels de la santé et notamment dans la gestion de sa douleur est un challenge quotidien mais ô combien enrichissant ! Notice n° 1685, créée le 27/10/2017, mise à jour le 11/04/2023 |