Pour expliquer la douleur, il est plus simple de prendre un modèle de douleur aiguë. Dans ce contexte, on a au départ, un stimulus sur une partie du corps. Ce stimulus transmet à l’organisme une énergie susceptible de l’altérer.
Le stimulus est reconnu comme dangereux par le système nerveux qui va générer un message neuronal dit « nociceptif », puis le véhiculer jusqu’au cerveau. Le message nociceptif active alors différentes zones cérébrales (la matrice de la douleur), qui, en réponse, vont produire les différents aspects (les composantes) du phénomène conscient que perçoit l’individu : la douleur.
La douleur est un phénomène complexe, dont l’expérience (ce qu’on connaît personnellement après l’avoir vécu) est subjective (il s’agit de soi-même, à titre individuel) et nécessite, pour exister, de mettre en jeu simultanément quatre composantes en interactions mutuelles.
Les 4 composantes de la douleur :
Comportementale
« Je fais selon ce que me dicte ma douleur. »
Cognitive
« Comment j’explique les causes et les conséquences de ma douleur. »
Émotionnelle
« Ce que je ressens au fond de moi quand la douleur arrive. »
Sensorielle
« Les sensations que je ressens dans ma chair lors de la douleur. »
Qu’il soit en lien avec une lésion réelle, potentielle ou supposée, qu’il touche une personne capable de communiquer verbalement ou pas (bébé, situation de handicap, soins de réa…) le phénomène « douleur » nécessite d’être reconnu, évalué avec les outils adaptés, puis traité dans la globalité de ces 4 composantes.
Attention ! Mesurer une EVA s’avère incomplet. Quand on demande à une personne douloureuse un score EVA correspondant à sa douleur, on ne mesure donc qu’une seule dimension d’une seule composante de sa douleur…
Pour bien soulager la douleur, il faut donc au préalable bien évaluer ses quatre composantes.
Cette fiche propose de détailler ce qui peut participer à la construction de la douleur dans des aspects de la vie quotidienne, avec quelques exemples concrets.
Ces exemples peuvent prendre des formes variables d’une personne à l’autre. Nos héritages culturels, nos histoires personnelles, nos personnalités et nos profils émotionnels et psychologiques sont différents. Ils influencent à divers degrés notre expérience de la douleur, qui de ce fait est propre à chacun, sans comparaison légitime d’un individu à l’autre.
Définition 1IASP 2020 :« Une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle. [La douleur peut être aiguë (de courte durée) ou chronique (prolongée au-delà de 3 à 6 mois).] »
1-IASP : International Association for the Study of Pain
La composante comportementale
Elle correspond à notre façon d’agir du fait de la douleur : ce sont les comportements « douloureux », mais aussi la manière dont le corps exprime la douleur au moment des accès douloureux. Ces comportements peuvent se mettre en place sans en avoir conscience, de façon automatique, conditionnée.
« Je fais selon ce que me dicte ma douleur. »
Le saviez-vous ?
Quand un patient n’est pas capable d’autoévaluer sa douleur, on peut utiliser les expressions du visage, les attitudes et comportements physiques pour dépister la présence de la douleur, voire évaluer son intensité, comme avec les échelles ALGOPLUS® et EVENDOL®.
Les évitements
• Inaction : marche, station debout, activités physiques…
« J’évite certaines activités par peur d’avoir mal. »
• Posture physique (attitude antalgique/douloureuse) : rester allongé, dos courbé, épaules rentrées…
« Pour protéger mon corps de la douleur, je me tiens différemment. »
La communication
• Réactions physiques à la douleur : pleurer, souffler, gémir quand on a mal, les expressions du visage et les postures et comportements physiques.
« Dire « aïe » en grimaçant quand on se penche. »
• Expression de la douleur : la douleur, la fatigue, l’angoisse… peut prendre la forme d’une plainte.
« J’en peux plus, j’ai trop mal. »
• Demandes répétées pour obtenir un anti-douleur, de l’aide dans les tâches quotidiennes, un arrêt de travail auprès de son médecin…
« La douleur est toujours là, pouvez-vous encore prolonger mon arrêt ? »
L’isolement
• Absentéisme et retrait social : limiter ses déplacements, ses sorties, ne plus se déplacer aux évènements, aux soirées, ne plus aller travailler…
« Je suis trop fatigué pour venir. »
• Ne plus s’exprimer : parler moins, se taire, ne plus répondre aux messages, ne pas en envoyer, mutisme…
« Je n’ai envie de parler à personne. »
Le comportement défensif
• Irritabilité : diminution de la patience, hausser la voix, susceptibilité…
« Tout m’énerve ! »
• Conflit : dispute avec les proches, conflit sur le lieu de travail (incompréhension des collègues, de l’employeur…), avec les professionnels de santé (incompréhension, problème de dialogue…), organismes sociaux (MDPH refus de reconnaissance du handicap, assurance maladie…).
« J’en ai assez qu’on minimise ma douleur ! »
La composante cognitive
Elle correspond à ce qu’on pense lors de la douleur : les idées, les croyances, les pensées qu’on peut évoquer concernant le sens et l’impact qu’on attribue à la douleur. Il s’agit de processus mentaux qui participent eux-mêmes à la douleur. Ils sont le reflet d’un apprentissage qui va également permettre d’anticiper toute autre situation douloureuse identifiable, et au mieux chercher à l’éviter, l’atténuer, au pire entretenir la peur.
L’environnement social et culturel contribue grandement à l’élaboration de ces pensées. L’incompréhension et/ou la mauvaise interprétation de certains signes augmentent l’anxiété et la douleur. À l’inverse, obtenir une explication satisfaisante sur l’origine de la douleur et son mécanisme permet de rassurer et d’apaiser.
« Comment j’explique les causes et les conséquences de ma douleur. »
Le saviez-vous ?
Au sein de l’ethnie Bariba, dans le nord du Bénin et du Nigeria, manifester une souffrance est un signe de lâcheté et suscite la honte. Il s’agit d’un apprentissage social, les individus ne manifestant aucune réaction lors de stimulus douloureux, quelle qu’en soit l’intensité (accouchement, blessure…). La langue Bariba ne dispose d’ailleurs que de très peu de mots pour évoquer la douleur.
Mon état actuel
• Dégradation de l’estime de soi :
« Je ne suis bon à rien, je suis une charge… »
L’origine de ma douleur
• Connue :
« J’ai une maladie grave, rare, qui ne guérit pas… »
• Inconnue :
« On ne trouve pas/on ne comprend pas ce que j’ai… »
Existe-t-il des responsables de ma douleur ?
• Moi :
« Je me suis blessé, j’ai une mauvaise hygiène de vie… »
• Les autres :
« Quelqu’un m’a blessé, mes parents m’ont transmis une maladie, j’ai eu un accident du travail… »
• Hasard :
« Il n’y a pas d’explication, je suis né malade… »
Quel avenir avec la douleur ?
• Évolution de la douleur :
« Je suis dans l’incertitude, je n’ai pas de visibilité. Je vais toujours avoir mal, ma douleur va empirer… »
• Évolution du quotidien :
« Je ne pourrais plus faire ce que je veux, je vais être de plus en plus dépendant, je ne pourrais plus travailler comme avant… »
La composante émotionnelle
Elle correspond aux émotions que je ressens dans mon for intérieur, mon intimité, lors d’une douleur. C’est une dimension psychologique.
Ce qui constitue la composante émotionnelle de la douleur présente une coloration négative qui conduit entre autres à une pulsion d’évitement basique du stimulus : c’est l’aversion à la douleur. Ce qui en résulte sur le corps relève alors de la composante comportementale, et l’interprétation qu’en fait la personne douloureuse relève de la composante cognitive, ce discours étant marqué par l’histoire personnelle et la culture.
Le déroulé de la vie avec une douleur chronique présente au fil du temps des fluctuations de la douleur elle-même. L’alternance de périodes d’amélioration puis d’aggravation est bien entendu susceptible d’influencer le ressenti émotionnel de la personne douloureuse. La douleur devenue chronique correspond à un sentiment de perte nécessitant un travail de deuil de la « vie d’avant ».
Les aspects décrits ici correspondent à la composante émotionnelle lors des périodes douloureuses et les exemples donnés correspondent au fond culturel classiquement rapporté à notre société française.
« Ce que je ressens au fond de moi pendant la période douloureuse. »
Le saviez-vous ?
Le MEOPA est un antalgique qui procure une puissante anxiolyse. La réalisation de soins sous MEOPA permet une mise à distance et un détachement. Le patient perçoit encore la sensation physique du geste (c’est le message nociceptif) mais il y est indifférent : il n’y a pas de douleur. On pourra renouveler sans problème le même soin avec la même technique de soulagement.
Peur, anxiété
• Manifestations physiques possibles : boule au ventre, boule dans la gorge, tremblements, palpitations, sueurs, nausées, envie d’uriner plus fréquentes, plaques rouges sur la peau.
• Manifestations psychologiques possibles : pensées parasites, anticipations négatives.
• À propos de son état de santé :
« Mes douleurs ne vont jamais disparaître, je vais avoir de plus en plus mal. »
• À propos de la qualité des soins :
« Je n’ai aucune solution pour aller mieux, personne ne m’aide, les médecins ne me croient pas, ne m’écoutent pas. »
• À propos de la perte d’autonomie :
« Je ne pourrais plus me débrouiller seul, je vais dépendre de mes proches, je suis une charge. »
• Impacts sur le quotidien possibles : ne pas réussir à décider, agir, développer des comportements pour tenter de reprendre du contrôle (mouvements répétitifs, tocs, rituels, automutilation ...).
Tristesse
• Manifestations physiques possibles : fatigue, manque d’air (diaphragme contracté), boule au ventre, dans la gorge, pleurs, voix cassée, qui tremble.
• Manifestations psychologiques possibles : dépression, abattement, envahissement moral (baisse de l’estime de soi, humiliation, culpabilité, honte), envahissement mental (ruminations, perte de l’envie).
• Perte et découragement :
« Je n’arrive plus à faire certaines choses (activités, s’occuper des enfants…), j’ai moins d’énergie, je ne peux plus travailler comme avant, j’ai perdu une partie de mon indépendance, des facultés cognitives. »
• Manque de reconnaissance, solitude :
« Personne ne me comprend, ne me parle de ma santé, mes proches se sont éloignés depuis que je suis malade, mon état s’est dégradé. »
• Impacts sur le quotidien possibles : inaction, plus envie de rien faire, envie de rester au lit toute la journée, envie de dormir plus (éviter le quotidien), automutilation.
Dégoût
• Manifestations physiques possibles : visage crispé, sourcils froncés, nausées, goût désagréable dans la bouche, attitudes antalgiques pour éviter la douleur.
• Manifestations psychologiques possibles : répulsion vis-à-vis de la douleur, rejet.
• Image de soi :
Trigger Warning : TCA (Trouble du Comportement Alimentaire)
« Je me trouve laid, je me trouve trop gros, trop maigre, mon corps me dégoûte, je ne me reconnais plus. »
• Sentiment d’être mal soigné :
« Ce médecin ne m’a pas écouté, j’ai un suivi, traitement médical régulier et pourtant mon état ne s’améliore pas, empire. »
• Impacts sur le quotidien possibles : trouble de la sexualité, perte de libido, changements fréquents de médecins.
Colère
• Manifestations physiques possibles : tension, pouls rapide, respiration rapide, haussement de ton, agitation, traits tirés, mimiques.
• Manifestations psychologiques possibles : impulsivité, instabilité émotionnelle, sentiment d’injustice
• Sentiment de manque de reconnaissance :
« Les médecins, mes proches, collègues pensent que je mens, que mes douleurs sont dans ma tête, on me demande de vivre « normalement », comme si mes douleurs n’existaient pas. »
• Sentiment de manque de bienveillance :
« On refuse de m’écouter, me proposer un traitement, un suivi, on me dit que je mens, on me traite de fou, de folle, d’hystérique, on minimise mon état, on me refuse le statut de personne handicapée. »
• Impacts sur le quotidien possibles : conflits, décisions hâtives, gestes emportés, blessures.
Honte
• Manifestations physiques possibles : corps crispé, recroquevillé sur lui-même, mal à la tête, rougissement et/ou irritation de la peau, démangeaisons.
• Manifestations psychologiques possibles : culpabilité, tristesse et dégoût
• Impacts sur le quotidien possibles : pas envie de voir, parler à des gens, envie de rester caché dans son coin.
« Je suis incapable de faire des tâches quotidiennes, mon travail, des activités, me concentrer. »
Stupeur (surprise)
• Manifestations physiques possibles : yeux grands ouverts, bouche ouverte, sourcils relevés, ne pas réussir à réagir face à la situation (sidération), gestes réflexes.
• Manifestations psychologiques possibles : pensées embrouillées, voire suspendues.
• Impacts sur le quotidien possibles : incompréhension (en cas d’accès douloureux).
« Je ne comprends pas pourquoi j’ai mal, le médecin ne va pas m’aider, je ne sais plus quoi faire, je suis désemparé. »
La composante sensorielle
C’est ce qui correspond à ce que je sens dans ma chair. Quand je suis capable de parler de cette sensation, j’utilise différents descripteurs selon la nature, la localisation, l’intensité, l’évolution dans le temps (la cinétique).
Les caractéristiques de la sensation douloureuse sont dépendantes de l’activité des structures neurologiques sollicitées, que ce soit lors du stimulus lui-même ou lors de la transmission du message depuis la périphérie vers le cerveau.
« Les sensations que je ressens dans ma chair lors de la douleur. »
Le saviez-vous ?
Au bon dosage, les anesthésiques locaux peuvent empêcher le passage de l’influx nerveux en bloquant les canaux sodiques des fibres de la douleur sans toutefois atteindre les fibres de la motricité. On peut bouger, mais on n’a pas mal. C’est le bloc différentiel.
La sensation peut évoquer une piqûre, une brûlure, du froid douloureux, une contracture, de la pression (étau), une décharge électrique, des fourmillements, une modification de la sensibilité, etc.
Quand il n’y a pas d’altération du système nerveux, la douleur est le résultat de l’énergie d’un stimulus et des nocicepteurs spécialisés qui traduisent chaque type d’énergie (calorifique, chimique, mécanique, électrique) en activité neuronale.
REFERENCE
Par exemple : un stimulus avec de la chaleur induira un message nociceptif déclenchant une sensation de brûlure.
Il existe des situations où les douleurs sont associées à une altération du système nerveux au plan fonctionnel (sensibilisation) et/ou au plan anatomique (lésion), pouvant alors induire des sensations sans rapport avec un stimulus précis.
Localisation
Le message nociceptif arrive dans une zone du cerveau (le cortex somatosensoriel) qui est le support du schéma corporel. Selon l’endroit où les nocicepteurs ont été activés, cette aire cérébrale porte à la conscience la localisation du stimulus. On peut localiser sur un schéma du corps la zone douloureuse
Homonculus
Localisation de la douleur sur schéma
Certains territoires sensitifs peuvent être stimulés plus largement et rendre moins précise la localisation du stimulus : il s’agit de douleur projetée (au sein d’un même territoire sensitif).
Dans le cas des douleurs d’origine viscérale, le message emprunte des voies nerveuses différentes, et cette localisation est attribuée à une ou plusieurs zones à la surface du corps (les métamères) parfois très éloignées, ce sont des douleurs référées.
douleur d'angor
Intensité
L’intensité de la douleur est rapportée par le cerveau à la force du stimulus. La douleur est plus ou moins forte, on peut qualifier son intensité, et même lui donner une valeur numérique. Il existe plusieurs échelles de douleur, les plus connues étant l’échelle numérique et l’échelle visuelle analogique (EVA).
Comme c’est à l’étage cortical que cette évaluation consciente s’établit, il est également possible de déterminer l’intensité d’une douleur même en l’absence de stimulus en périphérie.
Quand on demande à une personne douloureuse un score correspondant à sa douleur, on ne mesure donc qu’une seule dimension d’une seule composante de sa douleur, la sensorielle. Même si elle est sous l’influence des 3 autres composantes, l’intensité de la douleur est plus à même de caractériser une situation de douleur aiguë que chronique.
Évolution dans le temps
La sensation douloureuse peut survenir de façon :
- ponctuelle,continue dans le temps
- avec une intensité uniforme ou variable (pulsatile par exemple)
- à différents moments de la journée, de la semaine, du mois… ou rythmée par des événements spécifiques (facteurs déclenchant)
On peut noter ces caractéristiques dans un agenda, préciser si la douleur est spontanée ou provoquée, sensible à l’action d’un traitement antalgique ou non.
Sur le même sujet
Vous pouvez trouver d’autres versions de cette fiche :
• Les 4 composantes de la douleur – Professionnels de santé – Synthétique
• Les 4 composantes de la douleur – Grand public – Détaillée
• Les 4 composantes de la douleur – Grand public – Synthétique
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