CNRD
Centre National Ressources Douleur
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Cancérologie, la douleur et la souffrance en question : une recherche qualitative sur les représentations croisées des médecins oncologues et des patients

15è Journée de l'A-CNRD



Auteur(s) : Salès-Wuillemin, Edith
Congrès : Douleur provoquée par les soins - 15ᵉ journée de l'ACNRD
Date : 15/10/2020
Lieu : Espace Charenton, Paris

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Edith Salès-Wuillemin,
Professeure en Psychologie Sociale Laboratoire Psy-DREPI (EA-7458) Université Bourgogne Franche-Comté

Catherine Lejeune, Maître de Conférences HDR en économie de la Santé Equipe EPICAD et CIC – Inserm CIC 1432

Anthony Clain, Doctorant ATER en Psychologie Sociale Laboratoire Psy-DREPI (EA-7458) Université Bourgogne Franche-Comté

Thomas Carrel, Doctorant en Psychologie Sociale Laboratoire Psy-DREPI (EA-7458) Université Bourgogne Franche-Comté



Remerciements particuliers à Jennifer Cognard & Océane Ollivier

Cette étude intègre les résultats partiels de la cohorte EOLE. L’étude a été financée par la Fondation de France et le Cancéropôle Est.

Contexte

Chaque année, en France, le cancer est responsable de plus de 150 000 décès. Les traitements et protocoles de soins sont maintenant bien établis, cependant, 5 ans après le diagnostic, 63,5% des personnes souffrent de séquelles dues à la maladie ou aux traitements (fatigue, douleurs, activité physique limitée, anxiété, dépression…). Autrement dit, si les traitements thérapeutiques améliorent les taux de survie, la question de la prise en charge globale du patient est encore en question (Philippini, 2009).

L’étude que nous présentons lors de cette conférence s’ancre dans le champ de la psychologie de la santé (health psychology). Cette dernière allie à la fois le regard biologique et médical, mais aussi psychologique, social et sociologique. L’utilisation de méthodes qualitatives permet d’entrer dans la subjectivité des individus (Santiago-Delefosse, 2007). L’approche par les représentations sociales permet de compléter l’analyse en croisant les regards des patients et des soignants et en repositionnant le vécu subjectif dans la dynamique des relations intergroupes (Dany, Dormieux, Futo, & Favre, 2006 ; Galand & Salès-Wuillemin, 2009).


Objectifs

Il s’agit de mesurer la représentation de la maladie et d’évaluer la place de la douleur et de la souffrance dans la représentation que les médecins et les patients ont du cancer. Il s’agit aussi d’apporter des éléments de réflexion concernant la prise en charge thérapeutique, pour favoriser une co-construction communicative qui permette aux patients d’exprimer leur adhésion ou leurs réticences concernant les stratégies thérapeutiques envisageables pour eux ; aux médecins de favoriser l’expression des attentes du patient, de les cerner et de s’y adapter.

Méthode

La méthode est qualitative, 20 patients et 13 médecins oncologues sont interrogés grâce à des entretiens approfondis d’une durée de 60 minutes. Chaque entretien était introduit par une consigne standardisée (Salès-Wuillemin, 2007), permettant de fixer le cadre et les objectifs de l’étude, et de recueillir le consentement des participants. Les entretiens ont été transcrits et analysés grâce au logiciel d’analyse lexicale Iramuteq® qui permet de mettre en évidence la structure d’un texte (écrit ou oral) grâce à des analyses statistiques corrélationnelles. Les liaisons les plus fortes, les plus fréquemment établies par les participants, sont ensuite visualisées dans un graphique appelé arbre maximum qui schématise l’organisation du champ sémantique évoqué par les participants. Au centre de l’arbre est représenté l’élément qui totalise le plus grand nombre de liaisons avec les autres éléments, autrement dit l’élément le plus central de la représentation.

Résultats

La douleur et la souffrance sont présentes dans l’arbre maximum des patients, mais elles occupent des champs sémantiques différents. La souffrance est reliée aux conséquences sociales de la maladie ; la douleur est reliée au patient lui-même, elle concrétise la présence de la maladie et son diagnostic. Elle est assoicée aux effets secondaires des traitements. La souffrance est une douleur psychique, elle renvoie au sentiment de dégradation du corps et de vulnérabilité face à la mort, quand les traitements thérapeutiques mis en place par les médecins ont échoué.

Pour les médecins la souffrance n’est pas évoquée. La douleur est interprétée essentiellement comme un des effets secondaires inéluctables des traitements, mais aussi comme signe d’évolution de la maladie ou comme une réaction des patients face au traitement, c’est-à-dire leur plus ou moins grande tolérance. Discussion

Cette étude montre que si les patients abordent la douleur et la souffrance, pour les médecins c’est la douleur qui est prise en charge.

Ainsi, quand le patient dit sa douleur, alors qu’il exprime aussi sa souffrance, sa peur de l’échec des traitements et de la mort ; de son côté, le médecin reste dans le champ médical, il propose une solution thérapeutique, et se faisant, il traduit sa peur d’entrer dans une dimension psychique qu’il ne maîtrise pas, et pour laquelle il se sent impuissant. Ces deux niveaux d’appréhension de la douleur et cette absence de prise en compte de la souffrance peuvent générer des incompréhensions entre les deux parties.

Conclusion

Cette étude est qualitative, elle ne permet pas de tirer des conclusions générales sur la prise en charge des patients en cancérologie. En dépit de cette limite, elle permet de tirer des conclusions sur le dialogue médecin-patient qui est au cœur de la relation thérapeutique, elle permet d’apporter des éléments de réflexion sur l’accompagnement des patients et des médecins (Fromage & Hatti, 2015).

Références

  • Dany, L., Dormieux, A., Futo, F. & Favre, R. (2006). La souffrance : représentations et Recherche en soins infirmiers, 84(1), 91-104. doi:10.3917/rsi.084.0091.
  • Fromage, B., & Hatti, M., (2015) Accompagnement phénoménologique de l'expérience douloureuse en soins palliatifs, L’Encéphale, 171(4), 262-267.
  • Galand, Ch., Salès-Wuillemin, E. (2009) Apports de l’étude des représentations sociales dans le domaine de la santé, Psychotropes, 3, 35-44
  • Philippini, Y. (2009). Thérapie cognitive comportementale en soins palliatifs. InfoKara, vol. 24(1), 11-26. doi:10.3917/inka.091.0011.
  • Salès-Wuillemin, E. (2007). Les entretiens professionnels théorie et applications, in : M., Bromberg et A. Trognon (Eds.) Psychologie sociale et ressources humaines, (pp.525-539). Presses Universitaires de France
  • Santiago Delefosse, M. (2007). Perspectives critiques en psychologie de la santé. L'exemple des recherches en oncologie. Nouvelle revue de psychosociologie, 4(2), 9-21. doi:10.3917/nrp.004.0009.

Mots-clés : cancer / souffrance / représentation / étude qualitative / Journée