CNRD
Centre National Ressources Douleur
Envoyer par mailImprimer

Analgésie intrathécale : indications, mise en place et suivi


Auteur(s) : Dupoiron, Denis
Congrès : Douleur provoquée par les soins - 14ème Journée de l'A-CNRD
Date : 17/10/2019
Lieu : Faculté de Médecine des Saint-Pères, Paris

Dr. Denis DUPOIRON

Institut de Cancérologie de l’Ouest (ICO), Angers (49)

L’analgésie intrathécale est une technique interventionnelle de traitement de la douleur qui consiste à délivrer les antalgiques dans le liquide céphalo-rachidien (LCR), soit au plus près des récepteurs médullaires impliqués dans la modulation du signal nociceptif. Son principal avantage est son niveau élevé d’efficacité et donc l’utilisation de posologies très faibles d’antalgiques par rapport à la voie systémique. C’est pourquoi, elle est indiquée dans les douleurs réfractaires.

Historique

La première expérience d’analgésie péri-médullaire est attribuée à Corning, un neurologue américain, en 1860. Mais c’est August Bier, un chirurgien allemand qui publia en 1898 la première expérience d’injections intrathécales de cocaïne pour réaliser des interventions chirurgicales.

Il faudra ensuite attendre plus d’un siècle, pour qu’en 1976, T. Yaksh et T.A.Rudy, à la suite de la découverte des récepteurs opioïdes médullaires, mettent en évidence l’effet antalgique de la morphine intrathécale chez le rat. Les premiers essais humains suivront rapidement avec la publication par J.K. Wang du premier traitement intrathécal avec succès de douleurs réfractaires chez 8 patients atteints de cancer. Ensuite, la mise au point de pompes internes autonomes permettra un essor considérable de la technique au cours des années 1990.

Mécanisme d’action

Les neurones nociceptifs comportent un relais médullaire situé sur la corne postérieure de la moelle épinière. Cette modulation a été établie au cours des années 1970 avec d’abord la publication de la théorie du Gate Control par Melzack et Wall, puis par la découverte des récepteurs opioïdes par Perth et Snider et enfin par la découverte des endorphines. Depuis, la modulation du signal nociceptif à ce niveau s’est largement complexifiée. Elle fait intervenir de nombreux récepteurs et médiateurs, mais seuls quelques-uns sont susceptibles d’être la cible des thérapeutiques intrathécales. La diffusion des traitements antalgiques dans le LCR est passive. Les mouvements sont oscillatoires. Ils sont générés essentiellement par les variations de pression artérielle et les mouvements respiratoires.

Les traitements

Les opioïdes agissent sur les récepteurs µ. La morphine est la molécule de première intention utilisée par cette voie, car en plus de ses propriétés pharmacodynamiques, elle présente une grande sécurité d’action car les solutions ne contiennent pas d’adjuvant et qu’elle est stable dans les pompes. Sa puissance d’action est grande. On estime que le rapport de puissance est de 1/300 par rapport à la voie orale. Les opioïdes plus lipophiles comme le Fentanyl et le Sufentanil sont utilisés en seconde intention.

Le Ziconotide est un petit peptide, isolé du venin d’un escargot marin « Conus Magnus ». Il agit en se fixant sur les canaux calciques voltages dépendant de type N et en diminuant ainsi la libération du glutamate. Il est particulièrement actif sur les douleurs neuropathiques. Il n’est utilisable que par voie intrathécale et son index thérapeutique est faible. Il peut être responsable d’effets secondaires indésirables graves neuropsychiques, toujours régressifs à l’arrêt du traitement.

Les anesthésiques locaux se fixent sur les canaux sodiques et bloquent ainsi la transmission des influx nociceptifs. Ils sont actifs à la fois sur les douleurs neuropathiques et nociceptives. La Bupivacaïne est l’anesthésique local de référence, mais en France, on utilise plutôt la Ropivacaïne, en l’absence de disponibilité de la Bupivacaïne à concentration suffisante (40mg/ml).

Les autres molécules sont la Clonidine, agoniste alpha adrénergique et le Baclofène, par son action inhibitrice des récepteurs GABA B. La Kétamine est également active par son action sur les récepteurs NMDA, mais sa toxicité potentielle sur la moelle en interdit l’utilisation.

Les associations des traitements intrathécaux sont possibles et largement utilisés, compte tenu de la complexité de la transmission du message nociceptif au niveau de la corne postérieure de la moelle.

Certaines associations ont prouvé leur synergie comme Morphine-Bupivacaïne [5] et Morphine - Ziconotide.

Les règles d’utilisation des antalgiques intrathécaux sont définies par des conférences d’experts internationaux (Poly Analgesic Consensus Conference : PACC) [6].

En cancérologie, 97 % des traitements sont des associations.

Avantages

Le principal avantage de cette voie d’administration est sa puissance d’action (environ 300 fois la puissance de la dose orale pour la morphine). La faible quantité d’antalgiques nécessaire par rapport aux autres modes d’administration permet de traiter les douleurs réfractaires en évitant les doses élevées atteintes par voie systémique et/ou les effets secondaires induits. L’analgésie intrathécale peut donc, grâce à son mode d’action, être efficace là où les traitements antalgiques par voie classique sont en échec. De plus, contrairement aux méthodes interruptives neurochirurgicales, elle n’est pas définitive et elle permet de moduler les doses en fonction des besoins en antalgiques.

Inconvénients – Contre-indications

Le principal inconvénient est le caractère invasif de la technique qui implique des risques chirurgicaux (hémorragie, infection...). Les drogues par voie intrathécale sont extrêmement puissantes et peuvent être responsables d’effets secondaires en cas de surdosage, comme la dépression respiratoire pour les opioïdes, les déficits sensitivo -moteurs pour les anesthésiques locaux et les troubles neuropsychiques pour le Ziconotide.

Le remplissage régulier de la pompe est une contrainte. C’est pourquoi, elle est réservée aux douleurs réfractaires. Il existe peu de contre-indications en dehors de l’hypertension intracrânienne et des obstacles à la circulation du LCR.

Technique

L’implantation se réalise sous anesthésie générale. Le cathéter est implanté généralement par ponction lombaire sous contrôle radiologique, afin de positionner l’extrémité distale en regard des métamères impliqués dans le processus douloureux, et en arrière du cordon médullaire. Le cathéter est fixé au plan aponévrotique par une incision de quelques centimètres en regard de la ponction. La pompe est généralement implantée sous la peau au niveau de la paroi abdominale, après tunnelisation du cathéter intrathécal. Il existe un seul type de pompe autorisé en France, la pompe Synchromed II de Medtronicâ. Cette pompe dispose d’un contrôle électronique qui autorise des débits variables continus ou modulables, ainsi que l’administration de bolus par le patient grâce à une télécommande.

Rôle de la Pharmacie

La préparation de ces traitements intrathécaux est le plus souvent réalisée par des pharmacies hospitalières spécialisées. La complexité de calcul des doses est grandement facilitée par l’utilisation d’un logiciel spécifique. L’exigence de précision et d’asepsie des préparations requière une préparation dans des conditions d’asepsie stricte avec un dosage prospectif avant délivrance des mélanges. Cette chaîne de préparation complexe mais sûre, permet également de fournir les hôpitaux de proximité afin de limiter les déplacements des patients.

En cancérologie la prise en compte de cet aspect est indispensable pour les patients à un stade avancé de la maladie.

Mise en œuvre

L’implantation des dispositifs est réalisée généralement dans des centres de référence experts. Les recharges de pompes sont réalisées à intervalle de quelques semaines à quelques mois, en fonction des posologies nécessaires. En France, l’absence de bupivacaïne concentrée oblige à des remplissages plus fréquents. Le suivi est actuellement facilité pour l’ensemble des patients par la possibilité de disposer des recharges dans les hôpitaux de proximité afin d’éviter aux patients les plus fragiles des déplacements difficiles.

En conclusion

L’analgésie intrathécale est une technique efficace pour traiter les douleurs réfractaires. Elle est recommandée notamment pour les douleurs cancéreuses, même si sa mise en œuvre nécessite une technicité qui n’est pas disponible partout. La possibilité de réaliser les recharges de pompes au plus près du domicile permet de l’offrir aujourd’hui à plus de patients susceptibles d’en bénéficier.

Références bibliographiques

  1. JL.., C., Spinal anaesthesia and local medication of the cord. NY Med J 1885. 42: p. 483–5.
  2. A., B., Versuche uber Cocainisirung des Ruckenmarkes [Experiments on the cocainization of the spinal cord]. Dtsche Z Chir, 1899. 51: p. 361–9.
  3. Yaksh, T.L. and T.A. Rudy, Analgesia mediated by a direct spinal action of narcotics. Science, 1976. 192(4246): p. 1357-8.
  4. Wang, J.K., L.A. Nauss, and J.E. Thomas, Pain relief by intrathecally applied morphine in man. Anesthesiology, 1979. 50(2): p. 149-51.
  5. Melzack, R. and P.D. Wall, Pain mechanisms: a new theory. Science, 1965. 150(3699): p. 971-9.
  6. Pert, C.B. and S.H. Snyder, Opiate receptor: demonstration in nervous tissue. Science, 1973. 179(4077): p. 1011-4.
  7. Van Dongen, R.T., B.J. Crul, and M. De Bock, Long-term intrathecal infusion of morphine and morphine/bupivacaine mixtures in the treatment of cancer pain: a retrospective analysis of 51 cases. Pain, 1993. 55(1): p. 119-23.
  8. Deer, T.R., et al., The Polyanalgesic Consensus Conference (PACC): Recommendations on Intrathecal Drug Infusion Systems Best Practices and Guidelines. Neuromodulation, 2017. 20(2): p. 96-132.

Mots-clés : analgésie intrathécale / mécanisme d'action / traitement / contre-indication / avantage / technique / Journée / CNRD