Les douleurs séquellaires du cancer Auteur(s) : Minello, Christian Congrès : Douleur provoquée par les soins - 14ème Journée de l'A-CNRD Date : 17/10/2019 Lieu : Faculté de Médecine des Saint-Pères, Paris Docteur Christian MINELLO CETD, Centre Georges-François LECLERC, Dijon (21)
Il n’existe pas véritablement de définition consensuelle des douleurs chroniques séquellaires cancéreuses, néanmoins nous savons que tous les traitements du cancer (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, immunothérapie, thérapie ciblée) peuvent être à l’origine de telles douleurs. Celles-ci sont source de détresse psychologique, d’une diminution des activités et des relations sociales, d’une incapacité à retrouver un emploi, d’une perte de motivation, altérant ainsi la qualité de vie au quotidien et étant un obstacle à la réinsertion sociale. Il est cependant nécessaire de différencier ces douleurs séquellaires des douleurs chroniques d’autres origines présentes dans la population générale et donc également chez les patients cancéreux en rémission ; ce diagnostic différentiel est parfois difficile.
Deux études récentes rapportent une prévalence de la douleur chez environ 30% des patients en rémission de leur cancer, avec des douleurs modérées à fortes dans 17 à 27 % des cas. Si ces douleurs sont facilement explicables, elles ne sont pour autant pas normales. Elles ne s’expliquent pas par une faute lors de prise en charge oncologique ou une complication. Elles doivent être diagnostiquées et prises en charge. Elles sont malheureusement souvent négligées, oubliées, banalisées et laissées la plupart du temps à la charge des seuls médecins généralistes. Dans un article récent, seulement 8 % de ces patients étaient pris en charge au sein de structures spécialisées en algologie. Les patients se sentent alors abandonnés et ne consultent plus pour ces douleurs qu’ils finissent par considérer comme normales. Une étude danoise de 2009 montrait que sur une population de patientes opérées d’un cancer du sein, 45 % présentaient des douleurs et seules 9 % avaient consulté pour ce motif. Ces douleurs peuvent réveiller ou entretenir un sentiment de reprise ou de récidive de la maladie, ajoutant une angoisse, venant elle-même aggraver la douleur. Néanmoins toute douleur séquellaire qui se modifie doit faire évoquer une récidive de la maladie cancéreuse.
A l’exception de certaines douleurs rhumatologiques dues aux anti-aromatases, dont la qualification de douleurs séquellaires peut d’ailleurs porter à discussion, la plupart de ces séquelles sont des douleurs neuropathiques nécessitant une prise en charge adaptée et un suivi régulier pluridisciplinaire afin de tenter de redonner au patient une qualité de vie correcte. Il est souvent difficile, voire impossible, de prévoir leur durée dans le temps, y compris à l’arrêt du traitement imputable. Le diagnostic de douleurs neuropathiques doit être réalisé sur la base de l’existence de symptômes douloureux et de signes déficitaires sensitifs dans un même territoire neurologique. Afin de les détecter, il est utile de s’aider d’outils simples tels que le DN4. Le diagnostic est strictement clinique et aucun examen complémentaire n’est nécessaire pour reconnaitre une douleur neuropathique et débuter un traitement antalgique adapté. Cependant devant toute douleur neuropathique, il est nécessaire de réaliser une enquête lésionnelle et étiologique, en s’aidant des examens complémentaires appropriés, dans le but d’identifier ou de confirmer la lésion neurologique en cause et d’en établir l’étiologie.
Les douleurs post-chirurgicales sont les plus fréquentes et doivent être différenciées des douleurs post-opératoires de par leur chronicité (durée de plus de trois mois) et de leur absence pré-opératoire. L’incidence globale est estimée à 30 %, avec comme principales chirurgies pourvoyeuses de douleurs chroniques post-opératoires (DCPO), la chirurgie du sein, la chirurgie thoracique et les amputations. Les causes de DCPO sont multifactorielles, mais le risque est majoré en cas de stress ou de consommation d’opioïdes forts en pré-opératoire et d’une mauvaise prise en charge de la douleur post-opératoire. Il n’y a pas par ailleurs de corrélation entre la lourdeur du geste chirurgical et l’intensité d’une DCPO.
Les douleurs post-chimiothérapies sont assez fréquentes et leur incidence varie entre 30 et 70 % selon les études. Les principaux produits mis en cause sont le bortezomide, les dérivés du platine, les taxanes, la thalidomide, les vinca-alcaloïdes et l’éribuline. L’atteinte neurologique diffère en fonction du produit, donnant soit des neuropathies des fibres de gros diamètre, soit des neuropathies des petites fibres. Le tableau clinique est le plus souvent celui d’une polyneuropathie sensitive périphérique, se traduisant par des atteintes au niveau des quatre membres à type de dysesthésies, de fourmillements, d’engourdissements ou de brûlures touchant généralement prioritairement les mains et les pieds de manière bilatérale et symétrique. La détection précoce avec arrêt du traitement est le seul élément pouvant faire espérer une guérison. Il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement préventif d’où l’intérêt d’un diagnostic précoce.
L’incidence des douleurs post-radiothérapie est mal connue. Les symptômes peuvent en effet apparaitre très à distance de l’irradiation (jusqu’à 20 ans post-traitement), alors que les patients ne sont plus nécessairement suivis sur le plan oncologique. De plus, ces douleurs sont souvent multifactorielles et consécutives aux différentes prises en charge thérapeutiques du cancer. Ces douleurs résultent de lésions tardives sur les tissus sains et peuvent être nociceptives (nécrose tissulaire, nécrose osseuse), neuropathiques (démyélinisation des fibres nerveuses, fibrose des tissus adjacents ou des structures nerveuses elles-mêmes), ou plus volontiers mixtes. A l’heure actuelle, il n’existe que peu de moyens de prévention de l’apparition de ces douleurs chroniques. Seuls les progrès techniques de la radiothérapie associés à une meilleure connaissance de l’effet des rayonnements sur les tissus sains et un suivi à long terme des patients permettront d’avoir un impact significatif sur leur incidence.
La prise en charge de ces douleurs séquellaires, principalement neuropathiques, relèvent des recommandations de la SFETD et de l’AFSOS. En sus des traitements médicamenteux, des traitements locaux et des traitements non-médicamenteux tels que la TENS par exemple, dans le cadre d’une collaboration multidisciplinaire permettront une prise en charge efficace. Dans certains cas de douleurs intenses réfractaires aux traitements conventionnels ou en cas d’intolérances médicamenteuses, des méthodes interventionnelles telles que les blocs péri-nerveux, la neurochirurgie lésionnelle ou la neuromodulation pourront avoir leur place.
En conclusion Les douleurs séquellaires après traitement d’un cancer sont fréquentes, essentiellement après chirurgie mais également après chimiothérapie, radiothérapie, traitement par immunothérapie et nouvelles thérapies ciblées. Ces douleurs peuvent être cumulatives avec des répercussions toujours importantes surtout si elles ne sont pas prises en charge précocement. Elles peuvent évoluer très lentement sur des années et nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire dont la précocité sera la meilleure garantie de leur atténuation voire de leur disparition.
Mots-clés : douleur neuropathique / douleur séquellaire / douleur post-chirurgicale / douleur post-chimiothérapie / douleur post-radiothérapie / cancer / Journée / CNRD / bibliographie |