CNRD
Centre National Ressources Douleur
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Mieux comprendre les antalgiques pour innover


Auteur(s) : Eschalier, Alain
Congrès : Douleur provoquée par les soins - 14ème Journée de l'A-CNRD
Date : 17/10/2019
Lieu : Faculté de Médecine des Saint-Pères, Paris

Pr. Alain ESCHALIER, UMR Neuro-Dol, Institut Analgesia

Faculté de Médecine, Clermont-Ferrand (63)

Introduction

La pharmacopée des antalgiques connaît depuis plusieurs années un déficit d’innovation.

Les antalgiques dont disposent les prescripteurs sont anciens, voire très anciens et présentent souvent un ratio bénéfice-risque insatisfaisant.

Les nouveaux concepts de médicaments antalgiques sont rares, le dernier médicament conceptuellement nouveau, hors antimigraineux, est le ziconotide commercialisé à la fin des années 1990. Il y a donc un réel besoin d’innovation.

Ce besoin est confronté au paradoxe que la connaissance sur les mécanismes physiopathologiques de la douleur progresse, que les publications de recherche sont de plus en plus nombreuses alors que les évolutions conceptuellement innovantes sont inexistantes ou presque. Un tel paradoxe interroge sur la stratégie d’innovation.

Objectif

Discuter des évolutions stratégiques envisageables, après avoir fait le point sur les antalgiques usuels et l’actualité pharmacologique.

Les antalgiques usuels et l’actualité pharmacologique

Ils sont classés en antalgiques prioritairement utilisés pour 3 familles de douleurs :

  1. les douleurs par excès de nociception (essentiellement opioïdes, AINS, paracétamol),
  2. pour les douleurs neuropathiques (antiépileptiques, antidépresseurs)
  3. et pour les douleurs nociplastiques (duloxétine, prégabaline, minalcipran pour la fibromyalgie, FDA[1]).

L’actualité est dominée pour la première famille par :

  • la problématique de leurs effets indésirables (crise des opioïdes avec de très nombreux décès par overdose en particulier aux Etats-Unis ; mise en cause de l’innocuité du paracétamol ; rôle aggravant des AINS lors d’infections bactériennes) ;
  • une remise en cause de l’efficacité de certains de ces produits dans des situations de douleur chronique (paracétamol et arthrose, opioïdes, paracétamol et lombalgie...) ;
  • des tentatives de remplacement des opioïdes par d’autres concepts pharmacologiques ;
  • l’émergence de nouveaux concepts pharmacologiques (anti-NGF).

Pour la deuxième famille, l’actualité est essentiellement dictée par :

  • des études du groupe NeuPSIG de l’association internationale pour l’étude de la douleur, qui propose des recommandations d’utilisation des antiépileptiques et des antidépresseurs tout en soulignant que les études menées ne permettent pas de conclure à une efficacité majeure.

La troisième famille est aujourd’hui le parent pauvre pour les traitements pharmacologiques.

Des évolutions stratégiques pragmatiques pour innover

Il convient, dans une perspective d’innovation, de s’interroger sur la façon de faire progresser ce champ de la thérapeutique si nécessaire au mieux-être des patients quand on connaît la fréquence du symptôme douleur et la prévalence de la douleur chronique de 25 à 30%.

Mais la réponse n’est ni univoque ni évidente. On peut néanmoins proposer quelques constats factuels dont la prise en compte peut aider à progresser :

  1. cette très modeste innovation est partagée par d’autres secteurs pathologiques touchant aux neurosciences ;
  2. le phénomène douloureux ne se limite pas à une conduction nerveuse d’un point stimulé (ou lésé) jusqu’au cerveau. De nombreux sites et mécanismes régulateurs plus ou moins complexes interviennent ; ils subissent des perturbations en cas de douleur et particulièrement de douleur chronique ;
  3. ces mécanismes impliquent des neurones, mais d’autres cellules du système nerveux interviennent : les cellules gliales, ce qui complexifie le système ;
  4. la modélisation de la douleur, phénomène subjectif, est difficile et toujours fatalement imparfaite et réductrice, ce qui rend la recherche fondamentale plus difficilement pertinente par rapport au besoin clinique ;
  5. la recherche clinique reste le plus souvent une recherche populationnelle réalisée chez des sujets souvent sélectionnés par l’étiologie de leur douleur. Or, au sein de telles populations existe une hétérogénéité sans doute liée à des mécanismes sous-jacents variés. Cette diversité n’est pas (ou encore très peu) prise en compte dans la recherche et le soin, ce qui ne permet pas une personnalisation des traitements et participe à un certain nombre d’échecs thérapeutiques.

L’innovation pourra venir, entre autres, d’une meilleure compréhension des médicaments, ce qui a, en fait, deux facettes :

  • mieux comprendre leur mécanisme d’action et
  • mieux comprendre leur efficacité thérapeutique.

Mieux comprendre leur mécanisme d’action signifie que l’on identifie les mécanismes moléculaires, en particulier des médicaments reconnus efficaces en clinique.

Une telle analyse, bénéficiant des progrès technologiques et de modèles cliniquement pertinents, devrait permettre d’identifier des cibles moléculaires d’intérêt. La conception de ligands[2] de ces cibles pourrait permettre de disposer de candidats médicaments qui auraient de fortes chances d’être efficaces chez le patient car conceptuellement issus de médicaments actuels eux-mêmes efficaces.

Ainsi pourraient naître de nouveaux médicaments pour lesquels on aurait, en plus, amélioré le ratio bénéfice-risque.

Mieux comprendre l’efficacité thérapeutique des médicaments c’est admettre qu’ils ne peuvent pas être efficaces quel que soit le type de douleur et le patient.

Cela passe par une meilleure connaissance du patient avec l’objectif d’identifier des sous-groupes de patients présentant des caractéristiques et des mécanismes physiopathologiques communs justifiant une thérapeutique adaptée, personnalisée.

Il s’agit d’une évolution en cours particulièrement dans les douleurs neuropathiques pour lesquelles il est proposé une caractérisation des patients avant traitement en évaluant en particulier leur réaction à des stimuli nociceptifs ou non. Ainsi certaines études montrent une différence d’effet d’un même médicament en fonction du phénotype des patients.

On pourrait ainsi évoluer vers l’identification de critères de réponse à tel ou tel traitement, ce qui n’existe pas aujourd’hui.

Une autre évolution attendue est le recours à la santé connectée, évolution particulièrement intéressante pour les patients douloureux chroniques. Elle devrait permettre d’avoir un suivi en vie réelle de la douleur mais également des co-morbidités et finalement du bien-être, autant d’éléments que les seules consultations ponctuelles ne peuvent donner.

Nous développons dans ce sens le projet e-Dol au sein de l’Institut Analgesia avec la perspective d’une meilleure connaissance des patients et de leur douleur dans leur quotidien. Ce suivi longitudinal pourra aboutir à une définition d’une nouvelle séméiologie de la douleur chronique et par là à l’identification de sous-groupes grâce à l’analyse de symptômes subjectifs mais aussi objectifs.

Conclusion

Si le progrès des connaissances fondamentales permettra sans doute des évolutions, ces approches pragmatiques permettront, espérons-le, de mieux comprendre l’efficacité antalgique des médicaments et ainsi d’identifier le bon antalgique pour le bon patient et le bon trouble.

Références bibliographiques

  1. Authier N. Eschalier B., Chenaf C., Zenut M., Mallet C., Eschalier A. Traitements de la douleur, Approche pharmacologique. S10-P01-C11, pp :1-10. In Traité de Médecine, 5e édition, Tome 1, 2018. L. Guillevin, L. Mouthon, H. Lévesque eds. TdM éditions.
  2. Vollert J, Maier C, Attal N, Bennett DLH, Bouhassira D, Enax-Krumova EK, Finnerup NB, Freynhagen R, Gierthmühlen J, Haanpää M, Hansson P, Hüllemann P, Jensen TS, Magerl W, Ramirez JD, Rice ASC, Schuh-Hofer S, Segerdahl M, Serra J, Shillo PR, Sindrup S, Tesfaye S, Themistocleous AC, Tölle TR, Treede RD, Baron R. Stratifying patients with peripheral neuropathic pain based on sensory profiles: algorithm and sample size recommendations. Pain. 2017 Aug;158(8):1446-1455.
  3. Attal N., Bouhassira D., Translational neuropathic pain research. Pain, May 2019·Volume 160·Number 5·Supplement 1.

[1] La Food and Drug Administration (FDA, « Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux ») est l'administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments. Cet organisme a, entre autres, le mandat d'autoriser la commercialisation des médicaments sur le territoire des États-Unis.

[2] En biologie, un ligand (du latin ligandum, liant) est une molécule qui se lie de manière réversible à une macromolécule ciblée, protéine ou acide nucléique, jouant en général un rôle fonctionnel


Mots-clés : antalgique / efficacité / efficacité thérapeutique / effet indésirable / innovation / mécanisme d'action / santé connectée / thérapeutique personnalisée / Journée / CNRD / douleur / souffrance / bibliographie