CNRD
Centre National Ressources Douleur
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Quand un professionnel de santé devient patient


Auteur(s) : Raveau, Christophe
Congrès : Douleur provoquée par les soins - 14ème Journée de l'A-CNRD
Date : 17/10/2019
Lieu : Faculté de Médecine des Saint-Pères, Paris

Expérience de patient

Dr. Christophe RAVEAU, le 2 septembre 2019

Cette présentation a pour but de relater mon expérience personnelle face à la découverte d’un cancer ORL, le bilan d’extension, la chirurgie puis la chimio et radiothérapie. J’ai été pris en charge dans trois centres : une clinique pour la chirurgie ; un établissement pour la chimiothérapie et un centre de radiothérapie.

En devenant patient, on se rend compte des manques, des non réponses souvent parce que les soignants ne connaissent pas l’évolution, mais sans vouloir dire qu’on ne sait pas.

On prend conscience aussi, des maladresses, de la détresse du patient, de son sentiment d’impuissance, etc.

Peut-être que ces manques sont dûs au fait que je suis professionnel de santé, mais malgré cela, je ne connais pas tous les aspects de la cancérologie ORL, et en devenant patient, l’objectivité et le raisonnement ne sont plus les mêmes.

Je me suis rendu compte d’une bonne qualité globale des traitements de base ; la douleur aiguë a été correctement prise en charge, par contre, j’ai ressenti l’anxiété et la douleur générées par certains examens complémentaires, et encore insuffisamment prévenu.

On se rend compte également de l’importance des soins de support, qu’il faut parfois réclamer.

Bref, c’est un vrai « emploi à temps plein » que d’être gravement malade, avec la nécessité de se prendre soi-même en charge, ce qui n’est pas toujours facile lorsque survient un handicap associé.

L’importance de tout l’entourage (personnel, professionnel, les SOIGNANTS) joue un rôle prépondérant dans toute cette épreuve. Et dans ce contexte, de simples désagréments deviennent très rapidement une source d’angoisse importante qui peut entraîner une véritable souffrance, même si il n’y a pas de douleur associée, ou une douleur correctement gérée par des traitements habituels (paliers 1 et 2).

Présentation

Ce témoignage rapporte mon expérience personnelle de médecin qui se retrouve confronté à la découverte, puis le bilan d’extension, le traitement et les séquelles, d’un cancer ORL.

Sur le plan professionnel, je suis médecin au sein de la direction médico-pharmaceutique d’un laboratoire pharmaceutique commercialisant des gaz médicaux, et entre autres, le MEOPA.

Une grande partie de mon activité s’articule autour de la douleur et de l’anxiété depuis de nombreuses années.

En Juillet - août 2017, réalisation d’une ponction biopsie sur un ganglion cervical traînant depuis quelques mois, diagnostic reçu par courrier, à ma demande, concluant à une lésion métastatique ganglionnaire d’un carcinome épidermoïde peu différencié.

Un bilan d’extension est réalisé : ORL, PETScan, fibroscopies bronchiques et gastriques sous neurolept-analgésie.

Comme tout le monde : visite d’internet, avec tous types de renseignements. Bref, j’arrive à la conclusion d’un cancer Tx N2M0, soit un stade 3 sur 4.

Trois interventions chirurgicales successives sur septembre-octobre : biopsie ganglionnaire et curage ganglionnaire partiel droit; puis curage ganglionnaire fonctionnel bilatéral, puis découverte de l’origine tumorale à la luette, entraînant une ablation de cette dernière.

La classification devient T1N2M0.

Découverte au réveil du curage ganglionnaire d’un déficit sensitivo-moteur des membres supérieurs, hypoesthésie des oreilles et du cou, et surtout une aphonie liée à une paralysie de la corde vocale gauche.

La prise en charge de l’aphonie au niveau de la clinique a consisté en la fourniture d’une liste d'orthophonistes obtenue sur Google.

Ensuite, on se débrouille pour découvrir que les orthophonistes sont spécialisés, puis prise de rendez-vous sans voix !!!!

Voilà typiquement une situation extrêmement anxiogène, d’autant que la voix est un outil indispensable de communication, et un de mes instruments de travail.

Puis vient le temps de la chimio et radiothérapie. Pose d’une sonde de gastrostomie et d’une chambre implantable. Dans les deux cas, pose sous anesthésie locale, refus de MEOPA de la part des soignants malgré ma demande et en expliquant (avec l’aphonie), qui j’étais.

Bien évidemment, je savais que l’établissement était équipé.

Une des raisons évoquées était que “j'avais l’air calme et le pouls n’est même pas accéléré”.

J’ai essayé en vain, d’expliquer que j’étais sous béta bloquants et donc ça signifiait un traitement bien équilibré.

Je n’ai jamais reçu de MEOPA !!!!!!

Tout au long de ce parcours; de nombreuses phrases maladroites sont citées : “ Bougez pas, je pique”; “ Ca va pas être long”; “ Faut être patient”, “Ça fait pas mal, on fait une anesthésie locale”, etc……. Exactement ce que l’on apprend à ne pas dire en formation d’hypnose.

La chimio se déroule correctement (bonne gestion des nausées vomissements) sauf l’apparition d’une atteinte bilatérale de l’audition nécessitant un changement de produit et un appareillage bilatéral ultérieur.

Les 33 séances de radiothérapie sont supportées avec les effets secondaires inhérents aux traitements, et pris en charge à titre préventif et curatif par des thérapies locales.

Et le tout est émaillé de 2 séances de kinésithérapie et 2 séances d’orthophonie par semaine pendant tout l’arrêt de travail (6 mois et demi au total).

Tous ces rendez-vous de soins, les rendez-vous de taxis pour la radiothérapie; les changements d’horaires éventuels ; les lignes occupées ….. le tout avec une aphonie persistante, aggravée même par l’irritation de la radiothérapie sont générateurs d’angoisses, et le seul qui coordonne tout cela est : bien évidemment le patient lui-même.

Au cours de cet arrêt de travail, on se rend compte des difficultés à obtenir des renseignements précis auprès de l’employeur, de la Sécurité Sociale…

Bref, à l’issue de 6 mois et demi, la baisse de 25 % du salaire est un excellent stimulant pour reprendre !!! (si on peut).

Et ceci en reconnaissant que cette situation dans ma société, est plutôt favorable, il y a des situations bien plus critiques.

Au moment de la reprise, je me suis vu proposer “ la solution qu’il vous faut : le mi-temps thérapeutique”. Sauf que ce dernier est associé à un mi-salaire (“ non thérapeutique”), qui n’est pas compensé en totalité par les indemnités journalières.

Après de multiples recherches, un 4 / 5ème thérapeutique permet d’avoir un salaire quasi équivalent avec les indemnités journalières, et permet la poursuite de soins.

C’est ce qui a été mis en place durant 14 mois et m’a permis une reprise plus progressive en continuant la kinésithérapie et l’orthophonie.

Tous ces points pratiques, mais essentiels et générateurs d’un stress supplémentaire à ceux déjà subis, ne sont découverts que sur le “tas” et une fois confronté au problème.

Enfin je voudrais insister sur l’aspect essentiel des soins de support (kinésithérapeute, orthophonie, diététicienne, infirmière à domicile, psychologue) ; le réconfort apporté par ces personnes qui ont un rôle essentiel pour le patient. Bien évidemment l’entourage familial et professionnel joue également un rôle capital.

En conclusion

Mon expérience de médecin devenu patient avec une pathologie sérieuse m’a permis de mettre en évidence un certain nombre d’améliorations possibles dans la prise en charge du patient.

Peut-être que les équipes ont jugé que je pouvais gérer un certain nombre de choses seul en relation avec ma formation. Mais je pense que certains patients, livrés un peu à eux même, pourraient vite être débordés et envahis par une anxiété importante, source de douleurs éventuelles et, en tous cas, de souffrance.

Je suis quand même étonné que pour des douleurs induites pouvant relever typiquement du MEOPA, en expliquant qui j’étais et que je pouvais gérer l’autoadministration, ce dernier m’ait été refusé. Peut-être qu’une 2ème carrière professionnelle est nécessaire……

En tous cas, à ce jour, toutes ces épreuves ne sont pas restées vaines.

Malgré ces quelque erreurs ou omissions dans le parcours de soins, je suis en rémission ; j’ai repris une vie quasi normale, malgré quelques séquelles ; repris ma vie professionnelle à plein temps avec les mêmes activités, et le seul traitement médicamenteux à ce jour est d’un comprimé de bétabloquant par jour.

Je peux donc remercier ici tous les acteurs de ce succès.


Mots-clés : cancer / parcours du patient / douleur morale / anxiété / soins de support / coordination des soins / Journée / CNRD