MEOPA : Outils pratiques, dispositifs pour diminuer la pollution des locaux lors de son utilisation Auteur(s) : Lay, F. / Maillard, F. Congrès : Douleur Chronique-Douleur Aiguë- Douleur Provoquée par les Soins- 18ème journée de l'ACNRD Date : 19/10/2023 Lieu : Espace Saint Martin, Paris Florence Lay, IRD, service d’évaluation et de traitement de la douleur, Hôpital Rothschild, AP-HP, Paris (75)
Frédéric Maillard, médecin, CNRD, Hôpital Armand Trousseau, AP-HP, Paris (75)
18ème Journée de l’A-CNRD, jeudi 19 octobre 2023, Paris.
INTRODUCTION
Le MEOPA (Mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote) est un médicament d’usage professionnel anxiolytique et antalgique permettant une sédation consciente dans un délai rapide (2 à 3 minutes) qui a démontré son efficacité et sa sécurité chez les patients de tous âges pour prévenir et soulager la douleur provoquée par les soins (DPS) aussi bien en secteur hospitalier qu’en secteur de ville (1–7). Chez l’enfant, il s’agit d’un produit de référence pour les actes et soins douloureux (8).
Néanmoins, du fait de la présence du protoxyde d’azote (N2O) qui est son principe actif, le MEOPA est souvent décrié en tant que produit polluant, voire toxique et dangereux, avec des propriétés addictives, ceci nonobstant les fréquentes confusions qui sont faites entre les conséquences de son utilisation en milieu médical et celles du protoxyde d’azote pur dans des contextes différents de celui du soin (9,10).
Si les propriétés physicochimiques et pharmacologiques (11,12) du protoxyde d’azote comportent envers l’environnement ou les personnes qui l’inhalent des inconvénients ou des interrogations qu’il ne faut surtout pas nier, ses bénéfices pour le patient sous forme de mélange fixe avec 50% d’oxygène en tant que médicament de la douleur provoquée par les soins sont réels et, plus que tout à l’heure actuelle, nous ne disposons d’aucune alternative antalgique aussi efficace, sûre et facile à déployer dans cette indication prioritaire[1].
Dans ces conditions, la décision d’utiliser le MEOPA pour cette indication semble s’avancer sous la forme d’un dilemme (15,16) ; mais un dilemme où les représentations des enjeux par le soignant ont toutes les chances de peser prioritairement dans la balance, car c’est lui qui prend la décision d’utiliser le produit ou pas… Nous verrons cependant que dans un futur proche que cette situation va possiblement se clarifier.
Nous proposons ici, dans un premier temps, de résumer certains problèmes soulevés par le protoxyde d’azote tels qu’ils sont évoqués actuellement dans la presse grand public et dans la littérature médicale, en contextualisant leur impact sur la stratégie antalgique du MEOPA utilisée lors du soin, et les résistances qu’ils peuvent induire. Le principal achoppement demeure in fine l’exposition au long terme des soignants au protoxyde d’azote. Dans un second temps, en s’appuyant sur la notion de VLEP (valeur limite d’exposition professionnelle), nous décrirons quelques solutions techniques concrètes permettant de limiter, dans le local où se déroule la dispensation, l’inhalation involontaire par le soignant et/ou la présence inappropriée de protoxyde d’azote en dehors du « circuit bouteille-patient-évacuation ».
DES PROBLÈMES SONT ÉVOQUÉS AUTOUR DU PROTOXYDE D’AZOTE ET SONT SUSCEPTIBLES D’INQUIÉTER LES SOIGNANTS ET D’IMPACTER L’UTILISATION DU MEOPA FACE À LA DOULEUR PROVOQUEE PAR LES SOINS
La pollution atmosphérique et le réchauffement climatique
En lien avec le réchauffement atmosphérique qui préoccupe les climatologues, le protoxyde d’azote est un puissant gaz à effet de serre (GES) dont le pouvoir de réchauffement global (PRG) sur 100 ans est 310 fois plus élevé qu'une masse équivalente de dioxyde de carbone. Il est également un destructeur de la couche d’ozone (17). Sa durée de vie dans l’atmosphère est très longue, autour de 116 ans, et sa concentration a fortement augmenté (20%) depuis trois siècles, et plus spécialement ces cinquante dernières années (18). En accord avec les décisions récentes de limitation d’émission des gaz à effet de serre en France (19), la SFAR, par son comité de développement durable, a publié sur son site des recommandations concernant la limitation voire la suppression de l’utilisation du protoxyde d’azote au cours de l’anesthésie au bloc opératoire, tout comme - de façon plus surprenante puisque c’est bien là sa destination - du MEOPA en dehors des plateaux techniques (20). Plus largement, une démarche internationale « d’écologisation de la salle d’opération » et de réduction des déchets d’anesthésie hospitalière a été engagée depuis les années 2000. Un effort doit être porté notamment sur la limitation des fuites de réseau d’approvisionnement et le gaspillage, à savoir les émissions de gaz non utilisées par le patient (21,22). Cette démarche trouve son argumentaire dans l’impact cumulatif à long terme des gaz d’anesthésie et dans l’augmentation du volume d’interventions chirurgicales dans le monde, même si cet impact semblait très faible à l’échelle planétaire au regard des autres sources de GES : en milieu médical, le protoxyde d’azote et les halogénés inhalés représentaient 0,1% des émissions de GES aux Etats-Unis en 2012 (23–26). Il difficile d’estimer la contribution des utilisations médicales du protoxyde d'azote au changement climatique : alors que le N2O est considéré comme le plus contributif à l’effet des serre parmi les gaz d’anesthésie, ses émissions européennes d’origine humaine seraient d'environ 30 kt/an, soit 0.03 Tg/an (27,28). En 2006, l'utilisation de N2O à des fins anesthésiques a été estimée à 3 % des émissions totales de N2O aux États-Unis (29). Pour mémoire, les émissions mondiales de protoxyde d’azote atmosphérique d'origine humaine (43% du total) sont notoirement dominées par les ajouts d'azote aux terres cultivées, et ont augmenté de 30 % au cours des quatre dernières décennies, pour devenir les principales responsables de l’accroissement du N2O atmosphérique, lequel étant par ailleurs déjà alimenté par des sources naturelles (voir tableau 1 et figures 1 et 2) (30).
Figure 1 - Copyright Global Carbon Project. (31) version simplifiée Bilan mondial de N2O pour la période 2007-2016. Les flèches colorées représentent les flux de N2O (en Tg N an-1 pour 2007-2016) comme suit : orange, émissions provenant de sources anthropiques ; vert, émissions provenant de sources naturelles. Les flèches bleues représentent le puits de surface et le puits chimique atmosphérique observé, dont environ 1 % se trouve dans la troposphère. Le bilan total (sources + puits) ne correspond pas exactement à l'accumulation atmosphérique observée. Ce déséquilibre s'inscrit dans l'incertitude globale de l'établissement du bilan de N2O. Les sources et les puits de N2O sont exprimés en Tg N an-1 (Téragramme d’azote par an). Extrait de (30): Tian H, Xu R, Canadell JG, Thompson RL, Winiwarter W, Suntharalingam P, et al. A comprehensive quantification of global nitrous oxide sources and sinks. Nature. oct 2020;586(7828):248‑56.
Tableau 1 : Sources d’émissions de N2O en Tg N an-1 ( d’après Tian H (30)
Figure 2 : Sources d’émissions de N2O en proportions, d’après Tian H (30)
La toxicité du protoxyde d’azote, le mésusage et l’addiction
L’inactivation de la vitamine B12 par le N2O et ses conséquences sur l’hématopoïèse et le système nerveux ont été décrits progressivement depuis 1954 (11,32–34). A l’heure actuelle les tableaux cliniques les plus graves[2] qui en découlent sont généralement observés dans le cadre de la toxicomanie au N2O pur (35) avec des doses élevées. À condition que les doses cumulées ne soient pas majeures, ces troubles sont réversibles à l’arrêt de la consommation et avec une supplémentation en vitamine B12 (36,37). Dans certaines conditions médicales comme, par exemple, les crises drépanocytaires subintrantes (38), ou les soins douloureux récurrents, ou des patients dénutris, le MEOPA a pu être rendu responsable de tels troubles, en cas de prises importantes cumulées sur une période définie, soulignant alors la nécessité de tracer les séances d’inhalation (dates et heures, débit, durée, effets cliniques observés,…) pour les contrôler. En pratique, dans un cadre médical correctement respecté, cet écueil s’avère efficacement évité. Ainsi, dans ses conclusions[3], le rapport d’addictovigilance 2020 du CEIP de Nantes (39) précise-t-il bien que « le protoxyde d’azote à usage médical n’est pas mentionné dans les cas reçus ». Si les cas d’intoxications sont en hausse de façon préoccupante (39–41), la disponibilité du protoxyde d’azote pur, en vente libre, semble bien en être le facteur facilitant principal, mais entretient pourtant une certaine forme de confusion avec le MEOPA et sa destination médicale (9,10). La loi n° 2021-695 du 1er juin 2021 interdit désormais la vente du N2O aux mineurs[4].
La toxicité du protoxyde d’azote pour les professionnels de santé qui l’utilisent : pollution des salles de soins
En France, malgré une utilisation maintenant ancienne[5], la question de la toxicité pour les professionnels de santé qui y seraient exposées de façon chronique revient régulièrement, en particulier pour les femmes. Jusqu’à aujourd’hui, deux débats se sont principalement intriqués à propos de l’impact de la pollution des locaux professionnels au protoxyde d’azote :
Le N2O n’a pas montré d’effet tératogène, mutagène ou carcinogène chez l’être humain (12). Le point le plus discuté concerne la possibilité de troubles de la reproduction (baisse de la fertilité féminine). Les données dont on dispose chez l’homme pour répondre à cette question sont toutefois imprécises par leur caractère rétrospectif, la méconnaissance des niveaux d’exposition au N2O, et surtout la présence d’autres facteurs de risque potentiels ou avérés pouvant biaiser les conclusions (16). Néanmoins, les résultats de plusieurs études ont été qualifiés de « signaux d’alerte forts » par l’INRS (43–46).
Exposition professionnelle et configurations matérielles étudiées
Pour le MEOPA, faute de mieux à ce jour, et par analogie avec l’utilisation du N2O au bloc opératoire associée aux gaz halogénés, la dose de protoxyde d’azote à ne pas dépasser se réfère à une circulaire DGS d’octobre 1985 proposant, en salles d’opération et de réveil, une limite de concentration de 25 ppm durant la phase d’entretien de l’anesthésie (47). Ainsi décrite, cette limite constitue une valeur plafond, inadaptée pour une évaluation de plusieurs heures. En 2015, des services de santé au travail avaient sollicité la CARSAT[6] et l’INRS[7] afin d’identifier les situations d’exposition au MEOPA au CHU de Rennes et de présenter des pistes de prévention (43,48). Nous citons et résumons plus loin les principaux résultats de mesures d’exposition professionnelle au N2O lors d’inhalations de MEOPA en services de soins avec différents matériels et configurations, tels que publiés par l’INRS en 2019 dans son article (48) : Caetano G, Passeron J, Guilleux A, Jouve E, Aoustin D, Delevoye B, et al. Prévention de l’exposition au protoxyde d’azote sous forme MEOPA : l’expérience rennaise - Article de revue - INRS. Réf En Santé Au Trav [Internet]. déc 2019;(160):77‑89.
Disponible sur: https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=TF%20275
En 2020, la direction générale du travail a saisi l’ANSES[8] afin de mener les travaux d’expertise nécessaires à la fixation de valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) fondées sur des considérations sanitaires pour le N2O :
Ces valeurs sont exprimées :
Figure 3 : les différents types de valeurs limites
Le groupe d’expert a rendu son rapport en juillet 2022 (49), en fixant les limites suivantes :
Ces valeurs correspondant également à celles précédemment choisies comme référence lors des mesures faites par l’INRS au CHU de Rennes, nous les confrontons ici aux résultats observés dans l’étude citée (48) afin d’expliciter avec quels montages matériels il est en pratique réalisable de les respecter[9].
Montage 1/6 : masque à simple enveloppe, pas d’évacuation ni d’aspiration dédiée : administration standard (Figure 4)[10]
Montage 2/6 : masque à simple enveloppe, valve classique, raccordée au SEGA (Figure 5)
Montage 3/6 : masque à simple enveloppe, valve à la demande, raccordée au SEGA (Figure 6)
Montage 4/6 : masque à simple enveloppe, valve à la demande, PAS de SEGA (Figure 7)
Montage 5/6 : masque à double enveloppe, valve à la demande, aspiration dédiée (Figure 8)
Montage 6/6 : Masque à double enveloppe, valve classique, aspiration dédiée (Figure 9)
Les valeurs d’expositions résumées dans les montages de de 1/6 à 6/6 indiquées plus haut reprennent les résultats de l’étude qui indiquent les niveaux d’exposition les plus forts, en particulier lors de prélèvement de courtes durées. Ces prélèvements associent sur une courte durée les phases d’initiation et de fin d’inhalation les plus susceptibles de fuites en dehors du circuit bouteille-patient-évacuation. La figure 10 permet de visualiser ces valeurs par rapport à la limite choisie (en rouge). Les montages 5 et 6 utilisant le masque à double enveloppe (en vert) et permettant d’aspirer les fuites au visage, en particulier à l’expiration, ont conduit à des niveaux d’exposition compatibles avec la valeur limite de 45 mg/m3.
Figure 10 : valeurs d’exposition en fonction des matériels utilisés, pour des prélèvements de courtes durées [extrait de Caetano 2019 (48)]
EN CONCLUSION
Pour faire le pointPour faire le point sur le MEOPA un article de formation : Annequin D. Protoxyde d’azote et traitement de la douleur. Presse Médicale (50)
Références
1. Annequin D, Carbajal R, Chauvin P, Gall O, Tourniaire B, Murat I. Fixed 50% Nitrous Oxide Oxygen Mixture for Painful Procedures: A French Survey. Pediatrics. 1 avr 2000;105(4):e47.
Notes de bas de page
[1] Voir à la page 70 du manuel de certification des établissements de santé 2023, « Critère 1.2-08 : Le patient bénéficie de soins visant à anticiper ou à soulager rapidement sa douleur » (13), ainsi que le programme de lutte contre la douleur 2002-2005 (14). [2] Il s’agit, en résumé, de polyneuropathie sensitivomotrice associant des troubles de l’équilibre et de la marche, une faiblesse musculaire, des troubles sphinctériens, une anémie, une hyper-homocystéinémie. [3] Voir à la page 6 du rapport (39) https://ansm.sante.fr/actualites/protoxyde-dazote-des-intoxications-en-hausse [4] Voir : https://www.drogues.gouv.fr/lusage-detourne-du-protoxyde-dazote-une-pratique-risques-de-plus-en-plus-repandue (42) [5] Le protoxyde d’azote a été découvert en 1776 par Joseph Priestley et l’utilisation médicale débute au milieu du 19ème siècle [6] Caisse d’Assurance Retraite et de Santé Au Travail [7] Institut National de Recherche et Sécurité [8] Agence nationale de sécurité sanitaire [9] La mise en place détaillée des différents matériels pour inhalation est présentée dans la vidéo associée à ce texte [10] L’iconographie utilisée a été empruntée au site : http://recap-ide.blogspot.com/2013/11/le-meopa.html#more Mots-clés : MEOPA / douleur provoquée par les soins / CNRD / Journée de l'A-CNRD / protoxyde d'azote / pollution / addiction / intoxication / fertilité / masque / exposition professionnelle / VLEP |