Prise en charge de la douleur liée à l’infiltration sous-cutanée de lidocaïne lors des anesthésies locales ou locorégionales aux urgences pédiatriques
du chu de tours Auteur(s) : Garnier, A. / Landier, M. Congrès : Douleur Chronique-Douleur Aiguë- Douleur Provoquée par les Soins- 18ème journée de l'ACNRD Date : 19/10/2023 Lieu : Espace Saint Martin, Paris CONTEXTE Le service des urgences pédiatriques du CHU de Tours réalise en moyenne 34000 consultations par an, dont environ la moitié en secteur chirurgie-traumatologie. Il y a environ 2600 consultations par an pour des plaies dont la plupart nécessitent une suture. Actuellement les moyens antalgiques employés pour les sutures cutanées et pulpo-unguéales sont le paracétamol, l’ibuprofène et les opioïdes selon l’intensité de la douleur, la Xylocaïne® pour l’anesthésie locale ou locorégionale et le MÉOPA (Mélange Équimolaire d’Oxygène et de Protoxyde d’Azote), en association à la distraction et/ou l’hypnoanalgésie. PROBLÉMATIQUE, ÉTAT DES LIEUX, QUESTION DE RECHERCHE Au cours des soins de suture, l’ensemble de l’équipe observait très fréquemment une réaction de douleur lors de l’infiltration sous-cutanée de lidocaïne, malgré les moyens antalgiques utilisés. Ce phénomène est lié à l’acidité de la solution, nécessaire à la conservation du médicament (stabilité et solubilité dans l’eau). Cette douleur provoquée majore le risque d’expérience traumatisante pour l’enfant et induit une insatisfaction chez les soignants car elle rend plus difficile la gestion de la douleur et de l’anxiété pour le reste du soin, avec un risque non négligeable de recours à la contention. Or, de nombreuses études depuis les années 1990 ont démontré que le fait d’ajuster le pH de la solution de lidocaïne au pH physiologique par ajout de bicarbonate de sodium permettait de diminuer efficacement, voire d’annuler la douleur de l’infiltration et ce, sans diminution d’efficacité et sans effet indésirable ou toxicité. Cette procédure a été appliquée dans de nombreux centres et au CHU de Tours dans le service de radiologie-neuroradiologie diagnostique et interventionnelle depuis 2019 avec une grande satisfaction des patients et des soignants. L’objectif de notre projet était d’améliorer la tolérance et le déroulement des soins de suture des plaies cutanées et pulpo-unguéales en réduisant la douleur liée à l’infiltration sous-cutanée de lidocaïne. Notre question de recherche était la suivante : L’ajout de bicarbonate de sodium à la lidocaïne pour diminuer la douleur de son infiltration lors des soins de sutures aux urgences pédiatriques est-il simple à réaliser, sans risque et le résultat est-il satisfaisant ? METHODOLOGIE : ÉTAPES ET OUTILS Étape 1 : Nous avons au préalable élaboré un questionnaire (annexe 1) destiné aux soignants du service, évaluant leur connaissance du problème, les éventuelles craintes à propos de la procédure (en termes d’asepsie, d’erreur de reconstitution, d’effets indésirables) et leur motivation pour le changement. Étape 2 : Nous avons ensuite rédigé un protocole sur la réalisation et l’administration du mélange Xylocaïne®-bicarbonate de sodium pour l’anesthésie locale ou locorégionale (annexe 2), validé par le Comité de Lutte contre la Douleur (CLUD). Nous avons créé des affiches (annexe 3) représentant les points principaux de la procédure et le matériel nécessaire, ainsi qu’une vidéo illustrant la préparation du mélange en situation de soin, de la façon la plus simple et la plus sécuritaire possible. La technique retenue consistait à verser dans une cupule stérile tout le contenu d’une ampoule en plastique de 20mL de Xylocaïne® 1 ou 2% et d’y ajouter 5mL de bicarbonate de sodium 4,2%. Le mélange obtenu pouvait ensuite être prélevé en quantité adaptée à la taille de la plaie (suffisamment pour obtenir un gonflement modéré des berges), sans dépasser la quantité maximale autorisée (tableau indiquant les quantités maximales en fonction du poids de l’enfant). Ce protocole permettait aussi de rappeler brièvement la technique d’infiltration (à travers les berges et non la peau) et le délai d’action à respecter (3 à 5 minutes). Étape 3 : Nous avons ensuite formé les internes, séniors, infirmiers et auxiliaires de puériculture à la procédure via les différents supports. Étape 4 : Après l’implantation du nouveau protocole, nous avons pu évaluer l’efficacité de l’intervention ainsi que sa sécurité, via des fiches d’observations (annexe 4) recueillant les données suivantes : âge de l’enfant, localisation et taille de la plaie, nombre de points, traitement antalgique donné, type d’anesthésie, volume injecté, utilisation du MÉOPA, hypno analgésie ou distraction, présence ou non des parents, douleur (FLACC) au moment de l’infiltration, auto-évaluation par l’enfant (sensation de douleur OUI/NON, si OUI : EVA), échelle de contention (PRIC), satisfaction du soignant concernant l’efficacité, la faisabilité (temps, moyens humains), la sécurité (asepsie, risque d’erreur de reconstitution), difficulté technique ou effet indésirable/incident. L’objectif étant d’observer au moins une cinquantaine de cas. Toutes ces étapes se sont déroulées entre janvier et juin 2022, avec de nombreuses modifications de la procédure au gré des contraintes rencontrées. Le recueil de données a ainsi pu débuter début mai 2022. Les principales difficultés rencontrées ont été de s’assurer de la sécurité inhérente à l’utilisation de la cupule en plastique pour effectuer le mélange des deux médicaments (gage de simplicité et d’autonomie pour la personne réalisant le soin), de garantir les bonnes conditions pour la désinfection des plaies en se procurant une deuxième cupule de taille différente pour recevoir l’antiseptique. Puis finalement nous avons décidé de retirer cette deuxième cupule à cause du risque de confusion entre l’antiseptique et l’anesthésique local et de la potentielle toxicité liée à l’administration d’une trop grosse quantité d’antiseptique. Le choix retenu a été de laver la plaie à l’eau et au savon doux puis d’appliquer l’antiseptique sur la peau via une compresse stérile. Toutes ces questions ont fait l’objet d’une collaboration avec les pharmaciens hospitaliers, avec l’équipe opérationnelle d’hygiène hospitalière et le service de la qualité et de gestion des risques de l’hôpital. RÉSULTATS : Nous avons interrogé 34 de nos collègues, lors de nos réunions d’information, 6 urgentistes médecins et chirurgiens, 16 internes, 9 infirmiers et 3 auxiliaires de puériculture (figure 1). 91% d’entre-deux savaient que l’infiltration sous-cutanée de Lidocaïne était douloureuse et le constataient dans leur pratique (pleurs 65%, agitation 29%, cris, 19%, retrait 16%, mimique évocatrice 10% mais aussi crispation, anxiété, refus du soin ; figure 2). Seulement 41% connaissaient la cause de la douleur (pH acide). Pour les autres facteurs, l’aiguille était reconnue une cause douleur dans 56% des cas et le volume injecté dans 50% des cas (figure 3). Après information sur la possibilité de diminuer cette douleur en diluant la lidocaïne avec du bicarbonate de sodium, 32% des répondeurs exprimaient des craintes vis-à-vis de l’intégration de cette manipulation lors des soins de suture aux urgences. Les motifs étaient principalement le risque d’erreur au moment de la constitution du mélange (82%), le caractère chronophage de la procédure (44%), le risque de faute d’asepsie (44%), le risque d’effet indésirable (22%) et enfin d’éventuelles difficultés techniques inhérentes aux manipulations (22% : ampoule à casser, prélèvement avec l’aiguille…) (figure 4). Enfin, 100% des répondants étaient volontaires et motivés pour mettre en application cette technique. Nous avons donc tenu à répondre aux craintes de nos collègues en adaptant au mieux la procédure de façon à ce qu’elle soit la plus simple possible, sans risque et peu contraignante en temps et moyens humains. Une fois l’équipe formée au nouveau protocole, nous avons pu en observer les effets au cours d’une cinquantaine de soins (n=51). L’âge médian des enfants était de 5 ans (1-14 ans), les plaies étaient localisées au visage dans 78% des cas, de taille médiane 2cm (0,5-7cm), avec un nombre de points médian de 3 (1-12). Les enfants avaient reçu un médicament antalgique aux urgences dans 61% des cas, essentiellement du paracétamol (ibuprofène et morphine orale en cas de plaie pulpo-unguéale). Il s’agissait d’anesthésies locales dans 92% des cas. Le volume moyen de lidocaïne diluée infiltrée était de 2mL. Dans 100% des cas, les soins étaient réalisés en présence des parents et avec de la distraction. Le MÉOPA a toujours été administré sauf à une occasion (refus de l’enfant). L’hypno analgésie était utilisée dans 41% des cas. Le score FLACC médian au moment de l’infiltration de Xylocaïne® était de 0 (0-10), moyenne 1,3. Dans 27% des cas, l’enfant disait avoir senti la piqure mais la plupart du temps cela n’était pas douloureux (le seul enfant ayant répondu que la piqure était douloureuse évaluait sa douleur à 1/10 sur l’EVA). Le score de contention médian évalué par l’échelle PRIC était de 0 (0-4), moyenne 1. Dans 100% des cas les soignants étaient satisfaits de l’effet observé sur la réduction de la douleur, trouvaient la procédure simple, rapide et sécure. Il y a eu deux incidents déclarés, concernant une erreur sur la quantité de bicarbonate ajoutée (10mL ajoutés au lieu de 5mL pour 20mL de Xylocaïne®, sans conséquence sur l’effet observé et sans précipitation au sein du mélange). Parmi ces observations, un groupe d’enfants se distinguait des autres par des scores FLACC et PRIC élevés (n=8). L’âge médian était de 2 ans (1-9), les plaies étaient au niveau du visage dans 6 cas sur 8 (75%), la taille médiane était de 2 cm (1-5cm), le nombre médian de points était de 3 (2-7), ils avaient eu une antalgie médicamenteuse dans 6 cas sur 8 (75%). Le score FLACC médian était de 8 (4-10) et le score de contention médian sur l’échelle PRIC était de 3,5 (3-4), avec comme commentaire associé : « réaction de peur au masque du MÉOPA » « peur des instruments » « mère très anxieuse » « visage et mains maintenues » pour les sutures de la face, « peur intense des blouses blanches ». Il est important de préciser que pour chacune de ces observations, les scores FLACC et PRIC étaient élevés dès le début du soin (administration du MÉOPA) et n’augmentaient pas au moment de l’infiltration de la Xylocaïne®. L’âge semblait donc être un paramètre important vis-à-vis du risque de douleur et de contention lors des soins de suture. En effet, cette variable était statistiquement corrélée aux scores FLACC et PRIC (test de Pearson entre âge et FLACC : p-value : 0.007, coefficient ρ : -0.37 Intervalle de confiance à 95% [-0.59 ; -0.11], test de Spearman entre âge et PRIC : p-value : 0.004, coefficient rs : -0.47). En revanche, Il n’existait de corrélation statistique entre la taille de la plaie et les scores FLACC (p-value : 0.69) et PRIC (p-value : 0.52). Ni avec le fait d’avoir une plaie du visage (test de Student p-value 0.94 et 0,84 respectivement). DISCUSSION ET PERSPECTIVES FUTURES : Ce projet a donc permis d’améliorer la tolérance et donc le déroulement des soins de suture cutanée et pulpo-unguéale aux urgences, en réduisant efficacement la douleur de l’infiltration sous-cutanée d’anesthésique local. L’ajout de bicarbonate de sodium à la lidocaïne est un procédé simple à réaliser, sans risque et le résultat est très satisfaisant. Il a sans doute permis de réduire considérablement le recours à la contention (impression générale des soignants). Les deux incidents recensés concernant une erreur sur la quantité de bicarbonate de sodium n’ont pas eu de conséquence observable, car comme rapporté dans la littérature (1) le risque de précipitation du mélange est faible et rarement observé, même à des concentrations dix fois supérieures à celle de notre étude. Un effet supplémentaire constaté, mais non évalué, était la réduction du délai d’action de l’anesthésique (notamment pour les blocs digitaux). Cet effet, régulièrement rapporté dans les études, s’expliquerait par une diffusion plus rapide à travers les membranes et le cytoplasme de l’anesthésique jusqu’à son récepteur canal sodique, du fait d’un équilibre atteint plus rapidement entre les formes hydrosolubles et liposolubles lorsque la solution est injectée au pH physiologique (2). Par ailleurs, ce projet a été l’occasion de revoir, d’harmoniser les pratiques et d’optimiser notre prise en charge des plaies (quel antiseptique et en quelle quantité, importance du lavage préalable…) et la technique d’anesthésie locale (site d’infiltration, quantité nécessaire, dose maximale…). Le succès rencontré nous incite à recommander cette procédure aux autres services pratiquant des anesthésies locales ou locorégionales. Enfin, cette étude nous a permis de mettre en évidence une population d’enfants très jeunes échappant à une prise en charge optimale, avec des scores de douleur restant élevés et une anxiété manifeste, obligeant à un recours à la contention forte. En effet, ces enfants, très anxieux car dépourvus de capacités d’auto-réassurance et souvent intolérants au masque du MEOPA posé sur leur visage, sont les plus vulnérables et pour eux, l’expérience reste vécue comme une agression incompréhensible. Actuellement, en dépits des moyens disponibles, l’accent est mis sur la distraction, l’encouragement et la réassurance pendant et après le soin, en permettant à l’enfant d’être le plus possible dans les bras des parents et en prenant soin de finir par quelque chose de positif. Le prochain challenge sera d’imaginer des solutions pour mieux prendre en charge ces enfants et d’instaurer un protocole d’anxiolyse ou de sédation analgésie en cas d’échec de ces dernières, afin de limiter au maximum le recours à la contention forte. RÉFÉRENCES
Mots-clés : lidocaïne / urgence pédiatrique / douleur / soins de suture |